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Le sport comme combat : la défaite de juin 2017 (2/2)

Publié le 28 juin 2017 par Gonzo
Le sport comme combat : la défaite de juin 2017 (2/2)Adieu à beIn Sports, bienvenue à PBS

Avec une brutalité qui étonne au regard des traditions locales, davantage portées à d’infinies et subtiles négociations où il convient en principe d’éviter à l’adversaire une humiliation totale, l’Arabie saoudite et les Émirat ont donc édicté leurs « 13 commandements » à l’émirat du Qatar qui, bien entendu, juge que ces demandes ne sont « pas raisonnables ». Parmi les exigences de cette diplomatie aux allures de sport de combat et qui doit se conclure par un KO figure en bonne place celle de la fermeture d’Al-Jazeera, à laquelle doit s’ajouter, pour faire bonne mesure, celle de plusieurs sites d’information en ligne : Arabi21 (généraliste en arabe), Rassd (proche des Frères musulmans), Al-Arabi Al-Jadid (vitrine libérale bilingue, très inégale, confiée à l’ex-député palestinien Azmi Bishara عزمي بشارة ) et Middle East Eye (le plus intéressant à mon avis, en anglais et en français, avec quelques belles signatures).

À ma connaissance, la liste ne fait pas mention d’un autre joyau de la couronne médiatique qatarie, à savoir le groupe beIN media dont le patron, Nasser Al-Khelaïfi, est aussi celui du PSG (le club de foot de Paris pour ceux qui l’ignoreraient). Axé sur les événements sportifs, ce réseau international, avec des branches en France, Espagne, Australie, Turquie… et qui emploie quelque 2 500 employés de par le monde, subit à son tour les attaques saoudo-émiriennes depuis que le président de la Shamas (Saudi Media City) de Riyad a annoncé, il y a une dizaine de jours, le lancement, aussi rapide que possible, de PBS, une nouvelle chaîne sportive. Selon les sources, il s’agit, au choix, de « briser le monopole qatari sur les compétitions mondiales » , ou encore, en moins agressif, de « trouver une alternative au blocage de beIN » (version du Arab News, quotidien anglophone saoudien), notamment pour les téléspectateurs du Golfe privés de décodeurs depuis le 14 juin (voir le précédent billet).

En tout état de cause, le programme est aussi ambitieux qu’un jeune prince du Golfe pressé d’arrivé au pouvoir : déjà, un canal a été ouvert sur Arabsat (projet panarabe devenu quasi propriété exclusive des Saoudiens) pour la chaîne PBS dont les réels débuts se feront en décembre. 5 canaux HD pour commencer et 11 par la suite, un projet à hauteur de 7 milliards de dollars, paraît-il… Pour faire tourner la boutique, et comme une sorte de match retour contre Al-Jazeera qui avait profité, pour son lancement, de bons professionnels en principe formés par la BBC pour les Saoudiens, la nouvelle chaîne sportive saoudienne devrait récupérer nombre de journalistes sportifs qui ont « choisi » de quitter la chaîne qatarie beIn sports (dès le 7 juin pour les premiers d’entre eux).

La véritable différence par rapport à beIN, c’est que les programmes de PBS ne seront pas chiffrés et donc gratuits, une excellente manière, surtout pour les (a)mateurs de sport à la télévision arabes ou même français, de vider de ses abonnés la chaîne qatarie, et de se faire beaucoup d’amis parmi les amateurs (arabes ou non) de sport. Pour autant, le combat pour la conquête des ondes sportives n’est pas gagné d’avance pour les Saoudo-émiriens. En effet, les accords de diffusion signés par beIN prévoient de lourdes sanctions financières au cas où ses émissions ne parviendraient pas à sa clientèle régionale, soit parce que le Qatar refuserait de servir certaines zones (ce qui n’est pas au programme), soit parce des pays priveraient leurs citoyens d’un signal en provenance d’un pays honni (d’où la solution actuelle des pays du boycott, qui consiste à supprimer les décodeurs !)

Plus compliquée encore est la question des programmes. Même si elle a été dépossédée de quelques-unes de ses émissions phares (Ligue des champions et Ligue Europa), beIN conserve ses droits pour l’essentiel des grandes compétitions sportives pour plusieurs années encore. Pirater la chaîne en transmettant illégalement un match peut coûter très cher : 2 millions de dollars par exemple pour la télévision égyptienne qui n’avait pu résister au plaisir d’offrir à ses téléspectateurs la rencontre entre l’équipe nationale et le Ghana lors de la dernière Coupe d’Afrique. Une autre solution consisterait à racheter leurs droits à d’autres chaînes, mais cela risque d’être fort long et compliqué. Il n’est donc pas impossible que les très violentes menaces saoudo-émiriennes tournent aux rodomontades, sur la scène sportive comme sur le reste, le « vilain petit Qatar » se révélant plus vaillant que prévu…

Après la défaite de juin 67 qui précipita le déclin de l’arabisme, suivie par la mort de Nasser quelques années plus tard, rien ne semblait devoir s’opposer à l’hégémonie, dans la région et sans doute au-delà, de l’Arabie saoudite, porteuse d’un contre-projet d’union islamique en guise d’alternative à l’échec des régimes se réclamant du nationalisme arabe. Tout juste 50 ans plus tard, on peut imaginer que l’aventurisme de quelques jeunes décideurs, les « deux Mohammed » (d’Arabie saoudite et des Emirats) comme les appelle une partie de la presse régionale, entraîne une nouvelle défaite, prélude nécessaire à des changements radicaux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le monde arabe en a besoin.


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