Si ce blog s’appelle «De geek à directeur technique», c’est parce que mon but initial était de transmettre des choses pouvant aider les informaticiens à faire évoluer leurs carrières. Au fil des ans, j’ai écrit des articles variés qui pouvaient tous − d’une manière ou d’une autre − s’inscrire dans ce grand tout. Néanmoins, je n’ai jamais pris le temps de revenir sur les fondamentaux de la gestion de carrière… mais il n’est jamais trop tard.
Pourquoi penser à sa carrière ?
C’est une question qui peut paraître un peu idiote, mais elle mérite qu’on s’y attarde un instant.
Pour la plupart des gens, cela semble évident : Une carrière qui « monte », ça veut dire plus de responsabilités, un meilleur salaire, un travail plus intéressant, de nouveaux enjeux qui impliquent d’apprendre des choses nouvelles. Toutes ces choses sont positives dans le monde professionnel et ne doivent pas être vues comme des objectifs réservés aux seuls carriéristes qui ont les dents qui rayent le parquet.
Alors prenez le temps d’y réfléchir ; demandez-vous quels sont les critères qui ont de l’importance pour vous. Quand vous regarderez en arrière dans quelques années, qu’est-ce qui fera que vous serez satisfait de votre évolution professionnelle ?
Mais sommes-nous tous destinés à cela ?
Eh bien non. Pensez à Steve Wozniak ; à la fin des années 70 et au début des années 80, quand Apple devenait une grosse multinationale, il avait exprimé une crainte viscérale chez lui : il n’avait aucune envie de devenir manager. Son truc, c’était de créer des appareils électroniques, chose pour laquelle il avait du talent ; mais gérer des personnes, très peu pour lui. Pendant des années, il a réussi à garder son rôle d’ingénieur, faisant partie de l’équipe de développement de l’Apple II mais sans faire partie du management (même si on peut imaginer qu’il avait un poids plus conséquent que les autres ingénieurs de l’équipe). Quand cela n’a plus été possible (les puriste me pardonneront de simplifier un peu les choses ; je vous suggère de lire son autobiographie iWoz pour en savoir plus), il est parti créer la première télécommande universelle. Au final, c’était ce dont sa carrière avait besoin, et c’est comme ça qu’il l’a gérée.
Il existe tout un tas de raisons légitimes pour ne pas chercher à booster sa carrière. Parfois, grimper les échelons implique de faire des choses qu’on ne souhaite pas faire (comme dans l’exemple de Woz). Parfois cela nous oblige à revoir l’équilibre vie pro/vie perso d’une manière qui ne correspond pas à nos attentes. Ou encore, cela amène à identifier des zones d’ombres, des lacunes qui n’étaient pas problématiques jusque-là mais qui nécessiteraient d’être comblées avant de pouvoir progresser.
Les freins psychologiques
La plupart du temps, on se retient d’aller de l’avant pour de mauvaises raisons. Grosso modo, il y en a deux : la paresse et la peur.
La paresse, on peut la voir lorsque quelqu’un ne se satisfait pas de sa situation professionnelle, mais ne fait rien pour la changer. Si on pousse un peu plus loin, c’est la même chose lorsque qu’une personne se satisfait de sa situation alors qu’elle pourrait viser beaucoup plus haut ; mais elle ne le fait pas simplement parce qu’elle n’y pense pas.
Il n’y a pas de solution miracle pour vaincre la paresse, à part se mettre des coups de pieds aux fesses. Il y a des gens qui ont un déclic lorsqu’ils se rendent compte que tous les amis/collègues/camarades de promotion ont grimpé des échelons au fil du temps, et que leurs carrières sont à un niveau bien différent de la leur. Le mieux est encore de ne pas attendre ce type de déclencheur et de trouver les ressources internes pour se mettre en mouvement.
La peur peut prendre plusieurs visages. La forme la plus classique est une variation autour du syndrome de l’imposteur, que les gens éprouvent lorsqu’ils ont l’impression de ne pas être légitimes pour le poste qu’ils occupent ; si on ne se sent pas crédible dans ce qu’on fait au quotidien, on se sentira encore moins capable d’aller briguer un poste plus élevé.
Je pense qu’il y a deux raisons pour lesquelles on peut ressentir ce syndrome (aucun fondement psychologique à cela, juste l’expérience de mes observations).
La première, la plus commune, est que c’est un mécanisme naturel de notre esprit pour éviter de se mettre dans des situations risquées. Quand « on reste à notre place », on ne prend pas de risques ; la partie animale de notre cerveau œuvre à nous garder en vie et donc à nous éloigner de tout danger. Pour contrer cet effet, il faut accepter de sortir de notre zone de confort et choisir consciemment de faire face au péril, dans l’espoir de récolter les fruits de cette prise de risque.
La seconde est plus sournoise. Les fois où je me suis senti envahi par le syndrome de l’imposteur, c’est lorsque je maîtrisais tellement mon sujet que j’avais l’impression que n’importe qui pourrait le traiter aussi bien que moi. Peut-être avez-vous déjà ressenti cette impression, lorsque vous connaissez quelque chose sur le bout des doigts ; cela vous semble alors tellement naturel et facile que vous imaginez alors que c’est parce que c’est facile, et non pas grâce à vous. C’est assez paradoxal, car dans ces moments-là on est justement l’inverse d’un imposteur ! Il faut alors se reprogrammer, regarder un peu en arrière pour se rendre compte de tout le chemin qu’on a parcouru.
Les freins conjoncturels
Parfois, même si on ne se sent pas ralenti par des freins psychologiques, il est difficile de faire avancer sa carrière pour des raisons d’ordre pratique. La plupart du temps, le résultat est qu’on doive attendre un peu avant de se lancer. Toutefois, il faut se poser les bonnes questions pour que ça ne devienne pas une excuse de plus.
Changer d’entreprise est risqué lorsqu’on vient d’emprunter de l’argent pour s’acheter un appartement ? Certes, une période d’essai comporte le risque de se retrouver sans emploi du jour au lendemain. Mais voyons les choses différemment… Vous empruntez sûrement sur 10, 15, 20 ou 25 ans ; allez-vous vraiment passer tout ce temps sans changer d’entreprise ? Et franchement, nous avons la chance de travailler dans un secteur où on sait qu’il est très facile de trouver du travail − peut-être pas le poste idéal, mais en tout cas quelque chose qui vous donnera un salaire le temps de trouver un autre poste.
Vous venez d’avoir un enfant, et vous ne pouvez pas prendre de risque ? Là encore, vous n’allez pas attendre jusqu’à ses 18 ans, sans compter qu’un salaire plus élevé sera sûrement une bonne chose (un enfant ça coûte cher, eh oui). Si par contre vous prenez un congé parental pour vous occuper de votre enfant, vous pouvez effectivement vous dire que vous mettez vos ambitions professionnelles en pause ; mais ne vous coupez pas de tout rapport avec le milieu, continuez à mener une veille techno, trouvez du temps pour mener des petits projets personnels. La gestion de votre carrière ne consiste plus à viser plus haut, mais à faire ce qu’il faut pour préparer votre retour dans le monde professionnel.
Mise en œuvre
Si vous avez dépassé les freins qui vous retenaient, vous vous demandez maintenant comment faire progresser votre carrière. On peut distinguer 3 grandes directions :
- Changer d’employeur
- Changer de métier
- Créer son entreprise
Changer d’employeur est le moyen le plus simple de faire avancer sa carrière. L’expérience et les connaissances que vous avez acquises peuvent être monnayées ailleurs. En y consacrant le temps qu’il faut, on peut toujours trouver un meilleur package (toucher un meilleur salaire, et/ou travailler sur des projets plus intéressants, et/ou travailler avec des gens qui vous feront apprendre de nouvelles choses, etc.).
Mais il faut prendre plusieurs choses en compte.
La première est qu’on prend forcément un risque en changeant d’entreprise. On sait ce qu’on quitte mais on ne sait pas ce qu’on va trouver. Est-ce que le poste est aussi intéressant que prévu ? Est-ce que l’entreprise a vraiment les moyens financiers et humains de ses ambitions ? Il faut intégrer ce facteur-risque ; un meilleur salaire peut sembler séduisant, mais il doit forcément intégrer une prime pour compenser ce risque (c’est la raison pour laquelle une évolution de salaire sans changer d’entreprise est toujours plus faible que lorsqu’on change de boîte ; mais gardez à l’esprit que si vous changez tous les ans, vous allez vite faire fuir les recruteurs qui n’auront pas confiance en vous dans la durée).
La seconde chose à considérer, c’est le fait que vous serez toujours plus séduisant pour les autres entreprises si vous avez quelque chose de plus à proposer que la simple expérience que vous avez gagnée en occupant votre poste actuel. Montrez que vous avez développé des compétences qui vont plus loin que ce qu’on vous demande au quotidien, et essayez de trouver un poste qui vous fera fructifier toutes ces compétences − le salaire et les responsabilités n’en seront que meilleurs.
Enfin, dites-vous bien que changer d’entreprise ne doit pas être quelque chose de banal (je redis ce que j’ai dit plus haut : faites ça trop souvent et plus personne ne voudra de vous). Faites-le en dernier ressort, lorsque votre entreprise ne semble pas capable de vous offrir un package cohérent (là encore, il ne s’agit pas que du salaire ; un travail qui devient moins intéressant ou une mauvaise ambiance sont de très bonnes raisons) ou bien qu’elle n’offre pas de perspectives d’évolution à moyen terme. Dans tous les cas, essayez de voir s’il est possible de vous épanouir dans votre entreprise avant de décider de la quitter.
Changer de métier est quelque chose de commun aujourd’hui. Non seulement il faut s’y préparer (des études montrent que l’on change maintenant 4 à 7 fois de métier dans une carrière), mais c’est quelque chose à désirer si on revient au sujet initial − progresser de geek à directeur technique.
Ce n’est pas aussi difficile qu’il n’y paraît. Je ne parle pas de passer d’administrateur système à trader ; par contre, passer de développeur à chef de projets est une évolution qui peut sembler naturelle mais qui représente quand même un bouleversement dans les tâches que vous aurez à effectuer, les responsabilités qui vous seront confiées et les résultats qui seront attendus.
Il peut paraître plus facile de changer de métier en changeant d’entreprise, et c’est souvent le cas. Néanmoins, quand on est dans une structure qui le permet, il est toujours préférable de mener ce genre de transformation au sein de la même organisation. Ce sera habituellement plus facile et confortable, car cela évitera d’avoir à mener de front plusieurs choses à la fois. Il sera toujours temps de partir une fois que le changement aura été opéré avec succès, si vous avez l’impression que votre entreprise ne le valorise pas suffisamment.
Créer son entreprise est le meilleur moyen pour apprendre des choses nouvelles, pour être confronté à des situations auxquelles on n’aurait jamais été exposé, pour montrer que l’on est à la hauteur de responsabilités d’un niveau bien plus élevé que tout ce que vous aviez eu à gérer auparavant.
Je ne vais pas m’étendre sur ce sujet, l’entrepreneuriat étant un thème tentaculaire. Mais vous aurez compris que si vous êtes capable de sortir de votre zone de confort au point de vous lancer, votre carrière ne sera plus jamais la même. Et si jamais votre business se casse la figure, vous pourrez faire valoir sur votre CV des choses qui vous seront toujours utiles et qui devraient vous ouvrir de nouvelles portes.