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À peine sept ans et déjà un meurtrier dans l’âme. Sans aucune raison, le petit Michael Myers, affublé d’un masque, assassine à coups de couteau sa grande sœur. Aucune ? Ce serait oublier que le garçon découvre sa sœur nue après une nuit avec son copain. Un premier meurtre qui se place, comme les suivants, sous le signe d’une sexualité taboue.
L’envers de l’American Way of Life
Dans La Nuit des Masques (Halloweenpour les intimes), Carpenter flirte avec le genre du teen-movie, de la même manière que Brian de Palma l’a fait avec Carrie au bal du diable deux ans avant : dans ces deux films, l’adolescence signifie explosion de sexualité, de violence et de monstruosité. Toutefois, Carrie, comme son titre l’indique, se focalise plus sur la montée en puissance de cette rage contenue chez le personnage éponyme, là où La Nuit des Masques, dont le récit suit un groupe de trois filles, se concentre sur l’aspect collectif de la vie adolescente.Premier long-métrage reconnu de Carpenter, le film pose déjà les bases de son regard critique sur cette société américaine : l’arrivée du monstre révèle l’envers de la banale normalité. D’où le travail sur le hors-champ, mais d’une autre manière que Christine. Ce dernier film, dans la mesure où il explorait le caractère fantasmatique du mythe automobile, plaçait le hors-champ dans un contre-champ résolument inaccessible, sinon par l’imaginaire ; beaucoup plus angoissant est le hors-champ de La Nuit des Masques, car il se trouve physiquement lié au champ de l’American Way of Life. À chaque apparition du tueur masqué, la caméra se déplace et découvre, dans un espace contigu à l’action principale, une épaule, un bras, un masque tapis dans le noir. Le Mal absolu fait partie prenante de la vie quotidienne…Mais les gens « normaux », ces braves jeunes gens insouciants, ne savent pas voir. Des visions obstruées parsèment le film, du masque originel aux champs-contrechamps qui ne révèlent rien. Malgré la construction dramatique de la scène, qui repose fortement sur l’irruption de sons dissonants, nombre de contrechamps angoissés n’aboutissent en effet, au grand dam des personnages, qu’à montrer un mur nu. Ce que s’empresse peu après de corriger le travelling, qui révèle, caché dans un recoin, l’ombre de Myers. Aveuglés par leur immaturité, les adolescents américains ne conçoivent le monde qu’en deux pôles binaires : le champ, espace de la normalité heureuse, et le hors-champ, territoire des fantasmes dangereux. Jamais ne leur viendrait à l’esprit que champ et hors-champ fusionnent, et que la monstruosité découle naturellement de la normalité.
Michael Myers, émanation d’une société insouciante
Ni but, ni mot, ni émotion : Michael Myers fait froid dans le dos. On pourrait voir dans ce personnage glaçant une figure du Mal absolu. S’il incarne en effet un désir de meurtre apparemment gratuit, il n’en reste pas moins profondément lié à la société de l’insouciance, dont il hante les tabous.La créature apparaît systématiquement lors d’une scène de sexe, qu’il relie à la mort. Sur son masque inexpressif semblent remonter des profondeurs de l’inconscient collectif des fantasmes mal refoulés : l’inceste (avec sa sœur), la perversité, le voyeurisme (avec les deux jeunes filles qu’il assassine)… En termes freudiens, Myers représente le Ça d’une société de consommation sur-policée, qui a pensé sublimer ses désirs inavoués dans la frénésie des achats. Son masque macabre hante la fête commerciale de Halloween, comme pour rappeler à cette époque d’immaturité son sens originel : le retour des morts parmi les vivants. Soit ce que tentait désespérément d’enterrer le culte du présentéisme.On pourrait dire de Myers qu’il représente un Mal absolu relativement à une culture. C’est-à-dire qu’il porte sur lui tous les fardeaux dont veut se débarrasser une collectivité donnée, sans pouvoir réellement les oublier ; à la fois repoussoir et miroir. De ce point de vue, Myers n’est pas tant une personne qu’un personnage, une créature fabriquée sur mesure pour accueillir toutes les peurs collectives. Voilà pourquoi il ne peut mourir : sa respiration oppressante continuera de hanter toutes les villes moyennes des États-Unis, tant que celles-ci n’accepteront pas de regarder la mort et la sexualité en face.
La Nuit des Masques, de John Carpenter, 1978 Maxime