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Dieu n'habite pas La Havane, de Yasmina Khadra

Publié le 02 juillet 2017 par Francisrichard @francisrichard
Dieu n'habite pas La Havane, de Yasmina Khadra

Je m'appelle Juan del Monte Jonava et j'ai cinquante-neuf ans. Dans le métier, on me surnomme "Don Fuego" parce que je mets le feu dans les cabarets où je me produis.

C'est ainsi que se présente le narrateur de Dieu n'habite pas La Havane, le roman de Yasmina Khadra. En fait Juan met le feu en interprétant avec brio, tous les succès de rumba et de son, ces genres de musique typiquement cubains.

A Cuba tout appartient à l'État, qui se mêle de tout ce qui fait la vie des gens, qu'il s'agisse de leurs biens et de leurs personnes (il existe des entreprises étatiques qui s'occupent des artistes...). Quoi qu'il décide, l'État est toujours dans son droit...

La contrainte idéologique y est telle qu'elle a eu raison de la Foi: après avoir épuisé l'ensemble des recours au Père de Jésus, et ce dernier s'étant inscrit aux abonnés absents, les quêteurs de miracles se sont déportés sur l'esprit de leurs ancêtres...

Juan se produit au Buena Vista Café. Eh bien, l'État a décidé de le vendre à une dame de Miami dans le cadre de la privatisation décidée par le Parti. Et Juan, malgré qu'il en ait, se retrouve sans emploi, sans qu'il n'ait rien à y redire.

Or la musique est tout pour Juan: sans la musique, je ne suis qu'un écho anonyme lâché dans le vent. Je n'ai plus de veines, et donc plus de sang; je n'ai plus d'os pour tenir debout ni de face à voiler.

C'est au point qu'il a sacrifié sa famille à son art. Sa femme Elena a demandé le divorce; il ne voit que rarement sa fille Isabel qui vit avec sa mère; il habite chez sa soeur aînée Serena, avec toute une smala:

Nous sommes douze personnes à vivre sous le même toit: Serena, Javier, son mari, et leurs trois enfants; Pilar, la soeur de Javier, son époux Augusto et leur bébé; Lourdes, une cousine venue de la campagne soigner son arthrose, et qui oublie de rentrer chez elle; Ricardo mon fils de dix-huit ans et moi.

Depuis qu'il chante épisodiquement, Juan parcourt Casa Blanca le quartier de La Havane où il habite. Un de ces refuges est, à deux pas de la station maritime, un tram vert, là depuis des années, figé dans sa panne qui en dit long sur certaines idéologies.

Juan aime s'étendre sur la banquette de ce tram qui sied à [ses] états d'âme, les deux mains derrière la nuque. Or, un jour, il y découvre une jeune femme rousse qui est venue chercher du travail à La Havane et dont le frère a été arrêté avec toutes leurs affaires...

Il la revoit un soir, à proximité du tram, alors qu'elle est en train, en chantonnant, de laver son unique robe au bord de la berge, seulement vêtue d'un slip et d'un soutien-gorge: une secousse tellurique aussi angoissante qu'une possession m'a fortement ébranlé...

Quelque temps plus tard il retrouve cette jeune femme, au même endroit, en piteux état, du sang sur le visage, sur les bras et sur le devant de la robe. Puisqu'elle ne veut pas se rendre à la police, il arrive à la convaincre de la suivre chez sa soeur qui va s'occuper d'elle.

Et peu à peu Juan ressent pour Mayensi, le prénom de cette belle rousse au corps de rêve, quelque chose qu'il n'a jamais éprouvée auparavant: bien qu'elle ne fasse que le tiers de mon âge, elle possède déjà une bonne partie de mon âme...

Après quelque résistance, Mayenci succombe aux avances de Juan et ils filent le parfait amour. Elle dédie même au chanteur un poème magnifique qui lui fait dire: c'est le plus bel hommage qu'on m'ait fait depuis que je suis venu au monde.

Le chanteur et la poétesse forment un joli couple: la musique convoque le corps, la poésie interpelle l'âme, comme le dit le poète Manuel B. Harvas, que vénèrent les défavorisés de l'île et Mayensi, à laquelle Juan fait le cadeau de lui permettre de l'approcher.

Ce ne sera pas en raison de leur différence d'âge que l'histoire de Juan avec Mayensi s'achèvera... Quelle qu'en soit la raison, c'était de toute façon une histoire trop belle pour aller au bout d'elle-même, pareilles aux promesses qui ne nous engagent à rien et que nous ne sommes pas censés tenir...

Francis Richard

Dieu n'habite pas La Havane, Yasmina Khadra, 312 pages Juillard

Livres précédents chez le même éditeur:

L'équation africaine (2011)

Les anges meurent de nos blessures (2013)

La dernière nuit du Raïs (2015)


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