Une tribune de Serge Federbusch pour FigaroVox !
Derrière les rodomontades et moulinets «austéritaires» d’Edouard Philippe et Bruno Lemaire, se dessine chaque jour un peu plus la politique de faux-semblant telle que l’appliquaient François Hollande et ses troupes. On voit apparaître, en reliant les points de mesures en apparence désordonnées, la figure du mammouth qu’on ne dégraissera pas, un peu comme dans ces jeux qu’on trouvait autrefois dans les cahiers d’écoliers et qui vous faisaient progressivement découvrir le profil d’un animal ou d’un ustensile familiers.
Résumons-nous. Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint en charge des questions économiques et financières à l’Elysée puis ministre de l’économie, le tout pendant près de quatre ans, au terme d’une campagne électorale de dix-huit mois appuyée sur une foule d’experts plus ou moins auto-proclamés, a découvert, ça par exemple, qu’un déficit de plus de huit milliards d’euros avait été dissimulé à ses yeux d’aigle jupitérien. Quelle surprise ! C’est la première étape de l’opération de communication, nom élégant de la manipulation. La seconde ne se fait pas attendre : on proclame qu’une difficile politique d’économies va être mise en oeuvre, avec le duo précité -Philippe et Lemaire- à la manoeuvre.
Elle consistera en réalité, comme sous Hollande, à sacrifier les investissements publics, geler le point d’indice des fonctionnaires tout en accordant de ci de là des mesures catégorielles et croiser les doigts en espérant que la Banque centrale européenne veuille bien continuer à aplatir les taux d’intérêt que nous payons sur la dette publique. S’il manque quelques centaines de millions d’euros, voire un ou deux milliards, la hausse de la CSG sera plus forte que la baisse des cotisations sociales promises. L’Etat se servira dans l’épaisseur du trait.
Un discret aggiornamento des promesses relatives à la taxe d’habitation, à l’ISF ou au remboursement des lunettes et prothèses dentaires, tant attendues par les Sans dents et Sans yeux, achèveront ce retour au réel, d’une triste banalité. Après tout, comme le disait Jacques Chirac six mois après son élection de 1995 : «Il faut savoir sortir d’une campagne électorale.»
Tout cela, avec un peu de chance et un début de reprise, devrait permettre à l’Olympe de ne pas trop razzier les mortels pour satisfaire ses besoins dans les deux ans qui viennent. C’est la République le nez dans le guidon ... Quoi qu’à y regarder de plus près, le Premier ministre de 1995, un certain Juppé, faisait quand même montre d’un plus grand courage en s’attaquant aux régimes spéciaux ce qui mettait toute la France syndicale dans la rue lors d’un hiver glacial.
Cette audace, déjà timide à l’aune des entreprises thatchérienne ou Schrödérienne, est loin de caractériser aujourd’hui l’action des épigones de Juppé qui forment une petite partie du gouvernement, alibis de droite dans un univers de hollandisme mou.
Sur tout les sujets, le recul macronien commence à s’observer. Prenons par exemple la réforme du code du travail qui, de manière cocasse, prend surtout le chemin d’un renforcement des accords de branches, fonctionnement du secteur privé fantasmé par des hauts fonctionnaires nourris à l’idée que la vie économique et la concurrence peuvent être régulées de manière pyramidale.
La formation professionnelle, le financement syndical et la protection sociale complémentaire seront bientôt quasi entièrement régis par des accords négociés par les syndicats.
Sur un autre sujet, la réduction des effectifs publics qui débute curieusement par le recrutement d’enseignants, on voit que le libéralisme de Macron n’est qu’un leurre, que sa réalité est celle d’une bureaucratie d’accommodements comme son capitalisme est de connivence. Comment pourrait-il en être autrement pour un président issu du milieu lilliputien des inspecteurs des finances passés par la banque d’affaires, qui conçoivent le monde comme le champ clos où s’arrangent entre eux les puissants, le vulgum pecus economicus étant réduit à n’en connaître que ce que les commentateurs autorisés lui diront ?
N’oubliez pas ce que vient de faire savoir Jupiter : sa pensée est trop complexe pour être confrontée à des questions imprévues même le temps d’une conférence de presse du Quatorze juillet !
De Juppé, Macron a donc les soutiens, les collaborateurs et les réflexes corporatistes. Mais c’est de Hollande qu’il tient l’essentiel de sa pratique gouvernementale : gagner du temps, enfumer, distraire par la communication, noyer le poisson des réformes dans l’eau des subterfuges.
Comme tout mirage, la politique macronienne tend à repousser la confrontation au réel. Juppé, en 1995, avait tenu six mois. Hollande un an et demi. Macron peut espérer une durée intermédiaire. Les Français, y compris la grande majorité de ses électeurs, sont tellement désabusés qu’il n’attendent en réalité pas grand chose de lui, outre la comédie du rajeunissement. Continuer à consommer sans trop avoir à se serrer la ceinture : ils ont élu Macron pour qu’il obtienne ce minimum à Berlin. Juppé n’avait pas réussi, Hollande n’avait eu gain de cause que parce que la crise grecque a fait peur aux Allemands. Macron ne sait pas encore comment il y parviendra. Mais faites lui confiance !
Sorte de Hollande grimé en jeune Juppé, Macron nous offre la synthèse ultime d’un pouvoir oligarchique heureux de son nouveau lifting, du genre de ceux qui finissent par transformer les sourires en grimaces.