D’emblée, I Am Not Madame Bovary surprend par sa mise en scène audacieuse : pour raconter l’histoire d’une injustice dans la Chine contemporaine, le réalisateur Feng Xiaogang fait le choix d’utiliser trois formats cinématographiques étonnants.
Quand les formats ont un sens
Le premier, en ovale, domine la majorité du film. En reprenant les codes esthétiques de la peinture Song (Xe-XIIIesiècles), ce format en réitère également les valeurs : à travers ce cercle, le spectateur observe, tel un voyeur, le spectacle de la nouvelle cour impériale, celle du Parti Communiste chinois et de sa bureaucratie provinciale corrompue.Le second, plus rare, apparaît lorsque Li Xuelian (Fan Bing-Bing), agacée par l’immobilisme du système judiciaire de sa lointaine province, débarque à Pékin pour porter plainte à l’Assemblée Populaire. Le format passe alors du paisible ovale au rectangle abrupt, dont la verticalité, à l’image aussi bien d’une métropole en pleine course aux gratte-ciels que d’un Parti autoritaire et ignorant des « masses », semble écraser la jeune paysanne.Enfin, après l’affaire, surgit le temps d’une séquence le fameux Cinémascope, signe d’ouverture, peut-être d’espoir, dans une Chine où la coupure entre l’élite et le peuple se fait grandissante. Le théâtre du pouvoirCette diversité des formats va bien évidemment de paire avec le propos politique du film. À chaque nouvelle étape du parcours de Li Xuelian – qui décide d’abord de poursuivre son mari, qui a profité de leur faux divorce pour la quitter réellement et se remarier, avant de porter plainte contre l’ensemble des fonctionnaires locaux qui ont entravé sa plainte – correspond un format adéquat. Visuellement, la mise en scène suit les accusations d’un officiel du Parti, outré par l’arrogance des fonctionnaires en apprenant l’histoire de Li Xuelian : « On n’échoue pas sur le fond, mais sur les détails. Nous n’avons jamais compris les détails qui importaient aux masses ».L’affaire de Li Xuelian aurait pu rester dans le cadre privé ; or, comme elle s’en défend elle-même, c’est l’inaction des fonctionnaires lorsqu’elle désire porter plainte contre son époux, puis la pression qu’ils exercent sur elle pour l’empêcher de mener à bien sa procédure judiciaire, qui la décide à poursuivre en justice cette parodie de justice même. Le « petit détail » culmine lorsqu’il se fait volontairement politique, et que Li Xuelian, devant la préfecture de police, arbore avec défi une pancarte où tonne le mot « Injustice ». Le format resserré de l’ovale et du rectangle permet alors de mettre en scène le fonctionnement théâtral de ces institutions : chaque scène dévoile, à la manière d’une série de saynètes tragi-comiques, un versant des activités de ces fonctionnaires, plus préoccupés par leur avancement personnel et le maintien de leurs privilèges que par la bonne tenue du processus juridique. Autrement dit : le retour à l’oligarchie dans une république dite « populaire ».
I Am Not Madame Bovary, de Feng Xiaogang, 2017
Maxime