Les poèmes du recueil d'Anne Bregani, L'eau, les étincelles, sont accompagnés de gravures d'Armand C. Desarzens. La poétesse, dans une note liminaire, lumineuse, parle, au sujet de ces gravures, de fruit d'un cheminement, dont l'aventure se poursuit.
Après avoir lu les poèmes, regardé les gravures, le lecteur ressent intensément ce compagnonnage s'il y prête attention. Car, ici, les poèmes gravent le monde tandis que les gravures le poétisent, si bien qu'aucun des deux n'illustre l'autre: ils se rencontrent.
Anne Bregani met en exergue à son recueil deux poèmes, l'un de Wislawa Szymborska, l'autre de Yannis Ritsos, dont déjà les débuts donnent un aperçu de ses intentions.
La Polonaise demande
Pardon aux grandes questions pour les petites réponses.
Le Grec espère que
Peut-être encore nous défendra
le chant d'un oiseau...
La tâche est en effet immense et la nature (plus forte qu'on ne pense) peut aider à l'accomplir.
Anne Bregani passe en revue poétique les quatre points cardinaux et c'est l'occasion pour elle d'évoquer magnolias et martinets enchanteurs. Ainsi, dans Sud:
Très haut ce matin
le martinet mélange
la lumière au bleu
De sa royale hauteur
le grand magnolia
distribue l'abondance des fleurs
Et, comme elle vit, au bord d'un lac, elle ne peut que dire ce qu'elle lui doit, dans Nord:
Lac scintillant
ciel aquatique
où passent mes pensées
Dans Au puits du coeur, Anne Bregani s'interroge:
Mais les secrets d'un visage
quel oeil au bout de tes doigts
les percevra jamais
quelle main dans ton regard
saisira
ses lumières et
son ombre changeante
Elle fait appel aux éléments:
La pluie
me donnera
toutes les larmes dont j'ai besoin
et mon souffle
fera palpiter
le coeur océanique
de l'espace
je te dis
que je suis le vent
rien ne m'arrêtera à l'horizon
Elle parle pour les anonymes qui cherchent à émerger de la misère:
Par ma gorge
ils se fraient une piste
jusqu'à l'air libre
par ma voix
ils sont nommés
rendus à leur intime royauté
eux qui marchent
pieds nus sur cette terre
Aux grandes questions, sa réponse est finalement grande, comme son coeur, sa modestie dût-elle en souffrir:
Tout espoir est-il vain?
à l'aplomb de la verticale
subsiste
cette étincelle
ce feu
prêt à nous bouter
vers notre grandeur
Francis Richard
L'eau, les étincelles, Anne Bregani, 108 pages, Samizdat