Belly le Ventre s'adresse aux gens du passé, c'est-à-dire aux gens d'aujourd'hui, pour leur conter une histoire qui se passe sur Terre, dans le futur. Une histoire inimaginable, que pourtant Paul Ardenne a imaginée, comme une fable sur le pouvoir et sur les hommes, lesquels, bourrés de contradictions, se veulent à la fois semblables et différents les uns des autres.
Au début était la République Unitaire: ses partisans avaient mis fin à la Querelle des Pas-Pareils. Les Mondiens devaient être tous pareils: tous pareils on ne peut pas se jalouser, se voler, se haïr. Il n'y aurait plus de violences, oh la belle vie tendre et molle! Tous pareils on n'a plus qu'à jouir de soi en étant sûr de ne pas susciter l'envie d'autrui.
Cet égalitarisme intégral n'était pas du goût de tout le monde. Les Organiques conspirèrent contre cet État monstre qui leur avait ôté leur identité. Pour l'abattre, ils se coalisèrent et créèrent la Forte Alliance des Huit Organes, la FAHO, c'est-à-dire l'alliance de ceux qui sont du Ventre, de l'Oeil, du Nez, du Cerveau, du Muscle, de l'Oreille, du Sexe et du Coeur.
Les Unitaires prétendaient, eux, qu'ils étaient de tous ces organes à la fois, des tout-en un. Belly, son nom pléonastique l'indique, est du Ventre, organe supérieur aux autres: en mangeant on peut continuer à vivre sans voir, sans sentir, sans penser, sans bouger, sans entendre, sans forniquer ou sans aimer, tandis que sans manger on ne peut tout simplement pas vivre...
La victoire de la FAHO sur la République Unitaire a d'ailleurs été acquise grâce à la stratégie guerrière des Ventriens, créer la faim: parce-que-si-tu-bouffes-pas-tu-crèves. C'est alors que l'Apartheidie Fraternelle a été fondée, la patrie des Organiques réunis, des heureux séparés, basée sur ce principe sage et pétri de bon sens: si l'on est différents, on ne vit pas ensemble:
On n'est même pas obligés de nous aimer, oh que non, on coopère si on veut et si l'on ne veut pas, eh bien on ne coopère pas. Évidente, limpide, cristalline Apartheidie que la nôtre! Séparés et amis, amis de loin plus que de près. C'est ainsi que nous sommes frères et soeurs, quelle que soit notre obédience.
Rien n'est durable en ce monde, les êtres et les choses tout comme les régimes politiques. Belly raconte ce qu'il advient de cette fraternité entre obédiences quand l'une d'elles vise à la suprématie. Ce picaro raconte aussi les moeurs de son obédience avec un vocabulaire que n'aurait pas désavoué François Rabelais ou que Jean-Marie Bigard ferait sien...
Il va de soif qu'un Ventrien comme Belly s'exprime en rotant et en pétant - pour ne pas dire davantage -, que ses propos sont de haute graisse et qu'il faut de l'estomac - et ne pas avoir les foies - pour avaler ce pavé parfois saignant. Mais la récompense est au bout du volume, dans l'épilogue, où le maître à penser du narrateur, Ptôse le bien nommé, paie de sa personne...
Francis Richard
Belly le Ventre, Paul Ardenne, 368 pages La Muette