Le musée des Arts décoratifs a consacré voici quelques mois une importante exposition au Bauhaus, cette école créée en 1919 à Weimar sous la direction de Walter Gropius et qui est un des plus beaux fleurons de la modernité et de l’avant-garde. Les professeurs se nommaient Vassily Kandinsky, Paul Klee, Marcel Breuer… De nombreuses disciplines y furent enseignées, allant du design au tissage, en passant par le théâtre, l’architecture, le dessin… Une section de cette rétrospective est consacrée à la photographie, avec des œuvres de László Moholy-Nagy, Lucia Moholy, Gotthardt Itting, Florence Henri, Walter Kunkat, Haja Rose, Marianne Brandt ou Walter Peterhans. Mais l’enseignement de cet art fut tardif.
Dans le catalogue de l’exposition, Louise Curtis rappelle l’évolution de cette pratique au Bauhaus : « Avant l’établissement des cours de Walter Peterhans à Dessau, rares sont ceux qui ont bénéficié d’un véritable apprentissage de la photographie. Malgré des exceptions comme Lucia Moholy, la plupart des photographes du Bauhaus sont des autodidactes qui improvisent et explorent les usages possibles de l’appareil. (…) Même si la photographie endosse un rôle principalement documentaire pendant les premières années d’existence de l’institution, comme cela transparaît dans les Bauhaus- Alben de Weimar, elle devient progressivement l’objet de nouvelles préoccupations, avec notamment l’arrivée de László Moholy-Nagy en 1923. Sa réflexion théorique et son activité artistique marquent un tournant important dans l’enseignement au Bauhaus. » Mais qui était László Moholy-Nagy ? Reprenons la chronologie, telle qu’elle est présentée dans le catalogue du Centre Pompidou, László Moholy-Nagy, compositions lumineuses, 1922-1943.

À la demande de Walter Gropius, il devient professeur au Bauhaus, où il est chargé de l’atelier du métal, et s’installe à Weimar. « Il s’intéresse en outre à la typographie. Il conçoit le catalogue et l’agencement de l’exposition du Bauhaus en septembre 1923 à Weimar. » Ses photogrammes, auxquels il ne cesse de travailler tout en pratiquant la gravure, sont exposées dans une galerie de Hanovre. L’année suivante, une galerie de Berlin expose ses nouveaux travaux, les Tableaux téléphonés, qui « sont réalisés d’une « manière mécanique” par une fabrique d’enseignes de Weimar (…) Moholy avait envoyé à cette firme une « esquisse sur papier millimétré qui spécifiait l’emplacement des éléments et la couleur choisie”, et la firme avait réalisé « sur des panneaux de métal émaillé le même tableau en trois formats différents, chacun ayant un périmètre double du précédent”. » Il s’intéresse aux matériaux que l’industrie venait de créer, tels que l’aluminium, le plastique ou le celluloïd. Avec sa femme Lucia, épousée en 1921, il apprend les techniques de la photographie. Mais le Bauhaus de Weimar est fermé et, comme tous les autres professeurs, il est licencié.
En 1925, il publie son important livre théorique Peinture, Photographie, Eilm. Le Bauhaus s’installe à Dessau et il dirige la revue de l’école. Il forge le terme de photogramme pour les « photos sans appareil », technique qu’il développe et fait évoluer. Il fait alterner ses activités de professeur et ses recherches artistiques personnelles. Il expose peintures et photogrammes à Paris, à Dresde, à Berlin… 1928 est l’année d’une scission dans le Bauhaus et Moholy-Nagy abandonne l’enseignement. Ses activités continuent d’être diversifiées : publicité ou décor de théâtre par exemple. En 1929, il découvre Marseille, qu’il photographie, et réalise son premier film, Marseille Vieux-Port. Il poursuit son exploration théorique avec, notamment, la parution de l’article « La photographie, ce qu’elle était, ce qu’elle devra être». Il se lance dans la mise au point et la réalisation de films entièrement consacrés à la lumière.

Avec les photogrammes, Moholy-Nagy a inventé la photographie abstraite. Tandis que Le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch ou les toiles de Kandinsky ont libéré la peinture du sujet dans un geste toujours fécond et qui se voulait définitif, pour que la peinture ne soit plus que de la peinture, les photographies de Moholy-Nagy se libèrent également de la figuration pour que la photographie ne soit que de la photographie. Il donne à voir son essence telle qu’elle est inscrite, déjà, dans son étymologie : une écriture de la lumière. Il met en scène, dans des jeux de cadrages, d’architectures de lignes et de courbes, dans des apparences pures, cette lumière accompagnée, bien sûr, de ce qui la fait ressortir sinon vivre, les ombres et le noir.
« Toute mon œuvre est une paraphrase de la lumière », écrivait-il. Il expliqua plus longuement son rapport à la lumière dans le texte Nouvelles Méthodes en photographie : « Photographier signifie écrire, dessiner avec la lumière ; plus que dans le seul rendu des objets – comme ce fut presque exclusivement le cas jusqu’ici – c’est bien dans la maîtrise de cette écriture, de ce dessin lumineux, que réside l’essentiel du travail photographique. (…) Si, plus que le jeu changeant de la lumière pratiquement impossible à saisir aujourd’hui par d’autres moyens, l’enregistrement de l’apparence des objets était la mission essentielle de la photographie, nous serions bien contraints de nous satisfaire de cette photographie plate, grise, pauvre en lumière et vouée au mimétique. Aucun de ceux qui sont aujourd’hui un tant soit peu habitués à regarder la photographie ne se range à cet avis. »
L’œuvre de Moholy-Nagy est à la fois une pensée et une réalisation, alliance parfaite du dialogue du fond et de la forme, un parangon de l’avant-garde tant cette forme est radicalement neuve et cette pensée révolutionnaire.
Franck Delorieux
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