À chacun sa porte d’entrée. Dans le cas d’un film d’animation (tout comme en BD), le dessin est, en général, le premier élément cité. En gros, si l’esthétique ne plait pas d’emblée, difficile alors de s’accrocher.
Bien sûr, le fond, l’ambiance, peuvent primer sur la forme (Kuzco, l’Empereur Mégalo étant un, si ce n’est l’exemple même du métrage visuellement rebutant, au final totalement enlevant), mais force est d’admettre que bien souvent, le visuel peut empêcher d’aller plus avant.
Ce serait pourtant dommage d’en faire autant avec Have a Nice Day. Qui, avec ses personnages dessinés à la Patience de Daniel Clowes, aussi angoissants que ceux du Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, pourra très certainement, malheureusement, laisser sur le carreau.
Il faut dire que l’on est désormais peu habitué, nourris mensuellement à des productions à l’animation mainstream très léchée, à du mouvement rigide, du défilement d’arrières-plans aux abonnés absents, compensés par des animations faciales très travaillées, si formées et déformées au gré des émotions qu’elles en arrivent à engendrer une certaine angoisse née d’une indicible inquiétante étrangeté.
Ces personnages de crayon et de papier paraissent tellement habités d’une vie propre altérée, que leur réalisme confine souvent à l’irréel difficile à appréhender.
Ajoutez-y une bonne dose d’anxiogène et de nihilisme larvés, et vous mesurerez à quel point Have a Nice Day s’avère être un film, de prime abord, complexe à appréhender.
Complexe aussi, par les thèmes qu’il entend brasser. Liu Jian, le réalisateur du film, n’a aucune, mais alors aucune envie de nous épargner. À l’instar de Geng Jun avec Free and Easy, la Chine, voulue puissante et triomphante, se fait ici, amèrement décadente…
… autant dire que cette dernière n’était pas franchement contente.
Deux pôles d’un même pays (sud pour Have a Nice Day, nord pour le premier cité), un même constat : la moralité a déserté sur l’autel de la survie. L’argent devenant alors, lui, seul moteur d’existence, de fuite et d’émancipation, loin, très loin de ces villes à l’abandon.
C’est d’ailleurs ce qui poussera Xiao Zhang à détrousser un petit mafieux aux ordres de l’Oncle Liu, parrain de la pègre locale, afin de financer l’opération de chirurgie plastique que doit subir en Corée du Sud sa fiancée.
Un effet papillon dévastateur, qui attirera tel un aimant de multiples personnages cupides et aveuglés par cet argent. Qu’il s’agisse du simple rêve de devenir riche, de fuir en quête d’une nouvelle vie, ou d’affirmer son (petit) pouvoir.
Autour de ces âmes damnées, deux hommes de devoir. Xiao Zhang donc, en soi le seul cœur pur des environs. Skinny, boucher et homme de main de l’Oncle Liu, qui fera tout pour honorer les ordres de son patron.
Deux opposés comme deux faces d’une même médaille, bien qu’au final, rien de très bon n’émergera du champ de bataille.
Liu Jian déploie ainsi des trésors d’ironie mordante, noire et corrosive, voire parfois de cynisme assez cinglant, tant ses personnages semblent prisonniers de leur condition, et agissent perpétuellement sans le moindre discernement.
C’est peut-être là, au contraire de Geng Jun justement, la limite de l’approche de Liu Jian. Le tout se fait si suffoquant, si dérangeant en dehors de quelques moments de rires grinçants, qu’il est alors bien difficile de trouver le moindre protagoniste attachant.
Or sans empathie, la charge sociale assénée, par manque d’adhésion aux épreuves traversées, perd malheureusement un peu de son effet.
Reste un film d’animation marquant malgré tout sa différence culturelle et visuelle, au ton volontairement amoral qui n’hésite pas à appuyer là où ça fait mal. Pour peu que l’on ait le cœur bien accroché et que l’on soit plutôt bien disposé, Have a Nice Day mérite amplement d’être considéré.
Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.