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Réalisatrices palestiniennes (1/2) : Maysaloun Hamud

Publié le 25 juillet 2017 par Gonzo

Comme un mauvais film au scénario écrit à l’avance, on ne se lasse pas, dans nos médias, de s’émerveiller devant la grande scène de la-courageuse-femme-arabe-se-levant-contre-l’oppression-de l’islam-et/ou-de-la-société-machiste-et-rétrograde. Le monde du cinéma s’en fait une spécialité, avec, entre autres exemples récents, au Maroc Much Loved, de Nabil Ayouch (avec l’actrice Loubna Abidar) ou en Tunisie Ni Allah, ni maître, devenu Laïcité, Inch’Allah de Nadia El Fani. De nombreux titres viennent à l’esprit, comme nous le rappelle le Huffpost Maghreb en évoquant « ces œuvres qui nous montrent la révolution cinématographique des femmes dans les pays arabes ». Bien entendu, le courage dont font preuve des cinéastes arabes, femmes en particulier, pour aborder des sujets qui dérangent ne peut que susciter admiration et soutien. Mais pas au point de perdre tout esprit critique, sur la qualité artistique des œuvres en question ou encore, et ce sera l’objet de ce billet, sur les ressorts politiques, pas toujours très conscients et encore moins défendables, qui motivent bien des sorties enthousiastes.

Je danserai si je veux, film récent de la Palestinienne (de nationalité israélienne) Maysaloun Hamoud (ميسلون حمود) en offre un bon exemple. En avril dernier, le site de Paris-Match (je ne sais pas pour la formule papier), publiait ainsi un long sujet sur la réalisatrice, « briseuse de tabous ». D’ordinaire, Paris-Match est plus intéressé par les familles princières que par le cinéma engagé mais il fallait bien faire une exception pour l’histoire de ces trois jeunes femmes « prises en sandwich entre le poids des traditions machistes d’une société conservatrice et la schizophrénie d’une ville libérée largement ouverte sur l’Occident » (jolie formule qui se donne l’air de renvoyer dos à dos les protagonistes, tout de même partagés entre les vraiments pas bons, les « arabo-musulmans », et ceux qui ne sont pas parfaits mais tout de même « libérés » et « ouverts).

Il faut dire qu’il y a tous les ingrédients d’une bonne story dans ce film (Barr bahr, « terre et mer », son titre en arabe, traduit en anglais par In between, qui aurait pu donner, en français, mi-chèvre, mi chou…). Le « clash des cultures » bien entendu, avec un casting parfait qui associe une musulmane et une chrétienne, toutes deux parfaitement libérées – tellement que l’une des deux est homosexuelle, c’est dire ! – et à une troisième, prude et conservatrice, qui finira par assumer son émancipation, non sans avoir été violée par son fiancé, aussi brutal que conservateur (et musulman, cela va de soi).

Rien ne manque au scénario, pas celui du film mais celui de sa sortie publique, puisque la réalisatrice est victime de l’inévitable fatwa, preuve s’il en est que sa critique vise juste et qu’elle fait mal aux méchants de l’histoire. Une fatwa d’autant plus exceptionnelle qu’elle est sans précédent puisque, selon la réalisatrice interviewée dans Le Point, il faut remonter 70 ans en arrière pour trouver un tel précédent en Palestine (???). Il suffit de se donner la peine de fouiller un peu le net (mais c’est vrai qu’il faut le faire en arabe) pour retrouver la « fatwa » en question, aussi « dramatique » que toutes les mises en garde des autorités catholiques par exemple. Si un obscur Conseil musulman des avis religieux (Al-majlis al-islâmî lil-iftâ’) a, de fait, produit un texte pour dire tout le mal qu’il pense d’un film qui, aux yeux de ses membres, se moque des valeurs de la société, « y compris religieuses », et même si le mot fatwa fait surgir, imparablement, dans l’esprit du lecteur occidental les exemples  célèbres de Salman Rushdie et Naguib Mahfouz (et de bien d’autres moins connus), il n’y a dans le cas du film de Maysaloun Hamud aucune menace à l’encontre de la réalisatrice, mais une injonction aux fidèles pour qu’ils boycottent ce film pernicieux (exactement ce que demandent par ailleurs les autorités palestiniennes d’Al-Fahm, ville de Galilée dont les édiles sont très fâchés de la mauvaise image donnée de leur ville dans ce film abondamment primé à l’étranger).

Cette manière de s’emparer de productions artistiques, en l’occurrence arabes, pour en modifier l’intention originelle en les plaçant dans un contexte qui n’est pas le leur n’a fait que s’accélérer depuis que l’islam – en bloc, sans nuances et sans historicité – a remplacé dans les imaginations crédules le bon vieil épouvantail communiste. Mais, dans le cas palestinien, ce détournement sous prétexte de menace islamiste est encore plus exaspérant parce qu’il vient s’ajouter à d’autres filtres, tout aussi arbitraires, qui rendent dès lors la lecture de telles œuvres presque impossible. Parce qu’elles sont femmes, arabes (musulmanes ou non, pratiquantes ou non) dans un pays qui se définit lui-même comme un État juif, on se demande comment les jeunes réalisatrices palestiniennes peuvent espérer faire entendre leur voix pour elles-mêmes, et non pas pour ou contre telle ou telle cause qu’on leur prête.

Pour s’en tenir à l’exemple retenu dans ce billet, il va de soi que l’accent si souvent mis sur la question féminine ou religieuse a pour résultat – sinon pour objectif dans certains cas – d’éviter d’aborder une autre question, plus classiquement politique, celle du racisme de la société israélienne vis-à-vis d’une partie de la population dont elle peine (c’est une litote) à reconnaître l’existence. La « briseuse de tabou », comme l’appelle Paris-Match peut bien s’échiner à rappeler que son film propose une critique sociale qui n’épargne personne (« No one should feel good after the movie, neither Israelis nor Palestinians in this society »), il est clair que son travail sera immanquablement réduit aux seuls aspects qui ne mettent pas en cause des interdits plus sacrés encore, ceux de l’occupation de la Palestine et de ses conséquences.

Au moins, dira-t-on, il a le mérite d’exister ce film ! Car autant dire que le défi est plus grand encore, voire totalement insurmontable, pour d’autres femmes, qui ont fait le choix, quant à elles, d’une démarche presque inverse, à savoir partir de la situation politique pour étendre leur analyse à d’autres aspects de la vie en société, et notamment celui de la domination masculine. Raison de plus pour signaler ici les réalisations, moins « professionnelles » peut-être et en tout cas totalement ignorées par les médias (cet article en anglais malgré tout), des « femmes pour le changement » (Nisâ’ min ajli al-taghyîr) qui ont organisé à Gaza en novembre dernier, pour la seconde année consécutive, le Festival des films de la femme (al-karnafâl al-sinimâ’î li aflâm al-mar’a), avec des productions qui dénoncent par exemple les mariages entre enfants de plus en plus fréquents dans une société abandonnée du monde, mais qui racontent aussi ce qui se passe durant les cinq minutes que les autorités israéliennes laissent aux familles pour abandonner leur maison qui va être bombardée…


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