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L’héritage iranien

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit
L'apport de la Perse après le renversement de la dynastie sassanide et la renaissance islamique du pays est capital pour la culture islamique. Sur le plan religieux, l'islam iranien, dominé par le schisme « chiite », né d'un problème de succession du Prophète, mais qui, au-delà, est une véritable synthèse de l'islam et de la très ancienne religion mazdéenne de Zarathoustra, a inspiré des oeuvres, qui comptent parmi les sommets de la poésie, de la philosophie et de la mystique. Firdousi (940-1020), un siècle environ avant les premières chansons de geste de l'Occident, écrit dans son Livre des Rois l’ épopée des héros de son peuple. Il y établit la continuité culturelle avec l'Iran préislamique, et surtout l'Iran de la religion mazdéenne de Zarathoustra, dont les rois sassanides avaient fait la religion officielle. Les luttes millénaires du peuple iranien sont une lutte contre le mal selon le dualisme mazdéen. Il ne s'agit pas pour Firdousi de raconter seulement une histoire, mais de donner des modèles de grandeur humaine. Il le fait dans une langue si belle que les conteurs d'aujourd'hui chantent encore ses récits à leur peuple. Sohravardi (1155-1191) accomplit, en philosophie, une tâche semblable à celle de Firdousi dans son poème. Il se voue à la « résurrection des sages de l'ancienne Perse » (celle de Zarathoustra), et crée une philosophie « orientale », au sens premier du mot : une philosophie de la lumière. Le symbolisme zoroastrien de la lumière, appliqué à la méditation de l'acte « prophétique », central dans l'islam, le conduit à transposer l'épopée héroïque de l'ancien Iran en épopée mystique.
L’héritage iranien
Mystique et poésie iraniennes. Le cheminement de l'âme vers le Dieu caché, le poète persan Attar (v. 1150- v. 1220) l'exprime dans le symbole de son Colloque des oiseaux : trente oiseaux partent à la recherche de leur roi, le légendaire Symorgh, et, après une course épuisante à travers déserts et vallées, brûlés de corps et d'âme, ayant tout donné, tout leur est rendu ; ils parviennent à un lac et, y découvrant leur propre visage, découvrent en même temps que leur roi c'est eux-mêmes, ayant renoncé à leur « moi » pour devenir un « nous ». « Le soleil de ma majesté est un miroir, leur dit le Symorgh ,  celui qui vient s'y voit tout entier, son âme et son corps . . . Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin redoutable, lorsque vous avez souffert et combattu pour vous dépouiller de vous - mêmes et atteindre la plénitude, vous n'avez agi que par mon action. . . Anéantissez-vous donc en moi afin que vous vous retrouviez vous-mêmes en moi.» Pour Ruzbehan de Chiraz (fin du XIIe siècle), dans son Jasmin des fidèles d'amour , qui inspirera Dante, « c'est dans le livre de l'amour humain qu'il faut déchiffrer la règle de l'amour divin ». « L'amour de l'amant et de l'aimée est habité par la même force qui attire l'homme vers la réalité divine et qui est le réel par excellence. . . Aimer la beauté, c'est voir l'existence éternelle avec l'oeil même de Dieu.» Pour Roumi (XIIIe siècle),l'un des plus grands mystiques et des plus grands poètes de tous les temps, i l n'est pire douleur que d'être arraché au tout, et le mystique vit de cette nostalgie. « Ecoutez le roseau qui conte son histoire. Il gémit d'être seul, coupé de sa racine. Depuis qu'on m'arracha, les amants déchirés ont emprunté mes cris pour épancher leurs plaintes. Car j'ai besoin d'un coeur déchiré par l'absence, pour dire la douleur de cette nostalgie.» C'est le thème repris par Hafiz au XIVesiècle et que Goethe lui emprunta. Hafiz chante : « Comme le cierge brûle l'âme, lumineuse dans la flamme d'amour, d'un coeur pur j'ai sacrifié mon corps. Tant que tu ne seras pas comme les papillons, consumé par la nostalgie du Tout, tu ne pourras jamais t'affranchir de la souffrance d'amour.» Et Goethe, qui écrivait : « Hafiz, se comparer à toi, quelle folie ! », reprendra : « Toi, l'amant de la lumière, tu t'y brûles comme un papillon . Tu n'es qu'une ombre dans la nuit de la terre, aussi longtemps que tu n'as pas compris cette loi : meurs et deviens.» Saadi, au XIII1 siècle, l'exprime dans son Jardin des roses : « C'est l'implacable loi d'amour, ô mon enfant! En voilà le secret si tu veux le connaître : de sa flamme nul n'est sauvé que par la mort.» Résumant toute la vision islamique du flux de Dieu vers l'homme et du reflux vers Dieu dans la sainteté, Saadi écrit encore : « Tout souffle qu'on aspire prolonge la vie, et tout souffle qu'on expire la fait rayonner. Chaque souffle est un double bienfait de Dieu et nous devons pour chacun l'en remercier.»
Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
Pages  190 à 195
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