Magazine Cinéma
On a salué Inceptionpour sa mise en scène spectaculaire et la force du récit de Nolan. On m’a encouragé à le revoir pour me faire revenir sur mon avis mitigé lors de sa sortie. Je l’ai donc revu. À présent, je comprends mieux pourquoi je n’apprécie pas le film.
Il est une prouesse fondée sur du vide, une architecture bâtie de néant.
Ce qui me gêne dans Inception, c’est de voir à quel point la complexité du récit nolanien est plaquée de manière artificielle sur une matière inadéquate. Malgré leurstime-linesmultiples, les films de Nolan reposent sur un récit d’initiation qui, en dépit deflash-backset d’énigmes, reste somme toute assez linéaire.
Le personnage nolanien subit une crise intérieure initiale (la séparation de Cooper et de Murph dans Interstellar, la mort du couple Wayne dans Batman Begins, l’assassinat supposé d’Angier par Borden dans Le Prestige) que la narration tâche de démêler par un retour du personnage sur lui-même. Les héros de Nolan sont des héros freudiens, qui tâchent de réparer leur péché originel en le sublimant (Cooper en envoyant les données quantiques nécessaires à sa fille, Bruce Wayne en incarnant un justicier masqué, Borden et Angier en s’investissant corps et âme dans la magie).
On retrouve le même schéma d’auto-psychanalyse dans Inception. Le film est peut-être l’œuvre de Nolan qui thématise le mieux la dimension cathartique de ses héros. Et pourtant, un récit aussi linéaire ne correspond pas à la versatilité et à l’étrangeté de notre inconscient, qui ne se laisse pas aussi facilement encadrer dans une domination de soi.
L’inconscient de Dom Cobb (Leonardo DiCaprio), le héros en quête de rédemption, apparaît comme un terrain d’aventures en rien différent de la réalité. On pouvait s’attendre à des surgissements inattendus, à des déformations grotesques des souvenirs comme bien souvent dans les rêves, mais il n’en est rien. L’intervention d’Ariane (Ellen Page) dans les souvenirs de Cobb est à l’image de son homonyme antique auprès de Thésée dans le Labyrinthe : Ariane est le schéma directeur qui empêche Cobb de se plonger réellement dans les méandres de son inconscient traumatique,en lui interdisantune véritable confrontation avec le Minotaure–Mal, la défunte femme (Marion Cotillard) de Cobb. Alors Cobb et Ariane se contentent de visiter les rêves et les souvenirs dans un ascenseur parfaitement contrôlé au lieu d’accepter de s’y perdre. Deux touristes dans un parcours fléché.
Il en va de même pour l’inconscient de Robert Fischer (Cillian Murphy), la cible de l’inception. On aurait pu espérer une mise en scène de l’altérité, d’un inconscient hanté par d’autres souvenirs que ceux de Cobb. Or, la matière de l’inconscient ressemble à s’y méprendre à celledes actionersdes années 80-90. Scènes d’action spectaculaires dans un hôtel où la gravité est perturbée, plaisir des fusillades dans une base enneigée, goût de la course-poursuite dans une ville sous la pluie, miliciens au style proche des ennemis de Matrix… L’imaginaire novateur de l’inconscient est complètement recadré par les codes du genre.
C’est pour cela qu’Inceptionme paraît raté. On peut bien sûr l’apprécier pour ses scènes d’action ; mais alors, on oublie le traitement de l’inconscient, que le film écrase et replace dans des cadresbien connus. Les formes nouvelles que proposait l’inconscient se trouventbien mieux traitées chez des cinéastes aussi différents que Malick (où le souvenir vient brutalement crever la surface du récit linéaire) et Del Toro (où les monstres peuvent s’envisager comme projections des peurs invisibles du Ça).
En somme, Nolan rate parce qu’il ne prend pas en compte la spécificité de la matière filmée. Il semble nécessaire de penser une adéquation entre la forme et le fond, entre le sujet et la mise en scène. De ce point de vue, Inceptionse contente de plaquer le récit nolanien sur une matière trouble. Et s’y perd.Inception, de Christopher Nolan, 2010
Maxime