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La thématique de la castration parcourt Fight Club. De la réunion des cancéreux des testicules qui veulent se prouver leur virilité endommagée aux combats torse nu de mâles retournés à l'état de sauvagerie, en passant par les errements sexuels du héros, le film de David Fincher met en lumière la crise morale qui semble affecter l'homme blanc hétérosexuel à la fin du XXesiècle.
Pour une fois, la castration n'est pas le fait d'une femme sortie de son rôle de mère et d'épouse. Employés de bureau ou petits commerçants à la vie de merde, ces hommes ont perdu leur virilité dans un système économique et social à la mécanique implacable. Face à l'idéologie du propre-sur-soi (les remarques du patron sur la chemise tâchée de sang), de la réussite normalisée (les critiques contre la télé) et de l'anesthésie morale (le narrateur maquillant la responsabilité des fabricants automobiles dans les accidents pour limiter les pertes de l'assurance qui l'exploite), les cols blancs se révoltent et tentent de retrouver, par une ascèse de la violence, l'énergie primale, le « pôle animal » qui les habite.
À l'inverse, la présence de la seule femme du film – Marla Singer – excite les pulsions bestiales et sexuelles des hommes. Dans la relation sexuelle libre, les énergies broyées par un système économique puritain se libèrent et viennent nourrir les fantasmes de résurrection. La petite mort offre une nouvelle vie.
Comme souvent dans les films subversifs américains (Easy Rider, par exemple), l'esprit de révolte se revendique de la quête américaine de la wilderness, emblème d'une liberté insoumise. Mais l'intelligence de Fincher rend problématique ce retour à une sauvagerie idéale. La distance que le narrateur prend avec les actes vandales de Tyler Durden souligne le danger d'une adhésion naïve à la wilderness intérieure masculine.
Fight Club montre le nihilisme dans lequel s'enfonce l'Amérique des années 90. Désormais débarrassée de l'adversaire soviétique, elle poursuit une mécanique capitaliste à vide, qui broie impunément des millions de vies. Voir Fight Club après le 11 septembre appelle une lecture anachronique des images de destructions de gratte-ciels : le nihilisme que met en scène Fincher semble avoir gangrené l'Amérique tout entière, jusqu'à ce que l'énergie employée à exploiter les autres nations se retourne contre elle.
Qu'a pu devenir ce nihilisme dévorant ?
Peut-être une partie des énergies en quête d'émancipation se sont vues canalisées par les figures des super-héros. Un Spider-Man, un Daredevil ou un Batman ont transformé des forces purement négatives, se nourrissant et vivant exclusivement de violence, en exigences de justice sociale, tandis qu'une Elektra ou un Hulk ont brisé le cercle de la violence qui les aliénait.
Peut-être encore un mouvement comme Occupy Wall Street a tenté d'user de cette énergie comme moteur d'une reconstruction démocratique. Et à son tour initié d'autres mouvements en Europe.
Quoi qu'il en soit, il semble qu'un film tel que Fight Club ait longuement travaillé les esprits. En mettant en lumière la potentielle auto-destruction qui germe dans le système capitaliste, Fincher invite à réfléchir sur le sens à donner au bouillonnement d'énergies qui menace d'éclater.
Fight Club, de David Fincher, 1999
Maxime