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Réalisatrices palestiniennes (2/2) : une nouvelle génération

Publié le 01 août 2017 par Gonzo

Evoquée la semaine dernière, la réputation grandissante, sur fond de polémiques un peu sulfureuses, de la jeune réalisatrice palestinienne Maysaloun Hamud est loin d’être un phénomène isolé. Bien au contraire, comme le rappellait un article déjà un peu ancien du critique palestinien Saleh Dabbah (صالح ذباح ) dans le quotidien libanais Al-Akhbar, voilà longtemps que de jeunes « réalisatrices font sortir la femme palestinienne des clichés ». Il expliquait ainsi comment le cinéma palestinien a longtemps véhiculé une image un peu trop facile de la femme palestinienne, voire même un peu kitsch selon ses propres termes. Soumise à la double oppression du pouvoir colonial et de la société traditionnelle, la femme n’a longtemps eu sa place dans cette production (largement dominée par les hommes, d’ailleurs) qu’à travers le cliché de la femme/mère/terre/patrie qui l’investissait d’une aura quasi sacrée, totalement insupportable aux yeux de biens des féministes contemporaines.

Si les choses ont commencé à changer à partir de l’an 2000, dans les écoles de cinéma et dans le monde du court métrage, il a fallu une bonne dizaine d’années pour que les transformations apparaissent en pleine lumière. Aujourd’hui, une nouvelle génération de réalisatrices s’est imposée dans le cinéma de fiction, souvent après avoir fait ses premières armes dans le documentaire. Sans doute parce que les conditions étaient plus faciles pour elles, ou plutôt moins difficiles, les premières à se faire connaître, il y a une décennie environ, appartiennent pour la plupart à des milieux chrétiens (à l’image de ce qui s’est passé avec le roman arabe, il y a un peu plus d’un siècle). Elles sont souvent liées à la diaspora palestinienne. C’est le cas par exemple de Cherien Dabis (شيرين دعيبس ), née aux USA en 1976 et qui réalise, en 2009, son premier long métrage, Amreeka, sur la difficile émigration/intégration d’une Palestinienne et de son fils aux USA.

Née deux ans plus tôt à Bethléem, Annemarie Jacir (آن ماري جاسر‎‎ ) a grandi et s’est formée à l’étranger, notamment en Jordanie. Elle réalise en 2008 son premier long-métrage de fiction, Le sel de la terre (ملح هذا البحر), une histoire qui raconte un itinéraire inverse de celui de l’héroïne d’Amreeka puisque le personnage principal vient des USA en Palestine pour tenter de récupérer une somme (symbolique) d’argent laissée par son grand-père sur son compte à Haïfa au moment de sa fuite en 1948.

On retrouve un personnage central féminin dans un autre film sorti à la même époque, celui d’une troisième réalisatrice de la même génération , Najwa Najjar (نجوى نجار). Sorti en 2009, Pomegranates and Myrrh (المر والرمان ) 2009 raconte la passion scandaleuse de Kamar, femme d’un militant en prison, pour Kais, rencontré à travers la danse, tandis que l’occupation rend la survie économique de la famille encore plus difficile.

L’interprète du personnage principal dans ce dernier film est la très grande comédienne Hiam Abbas (هيام عباس ), déjà dotée d’une riche carrière en tant qu’actrice lorsqu’elle passe derrière la caméra, en 2012, pour son unique long métrage à ce jour, Héritage (الميراث ,2012). Prisonnière des multiples secrets de sa famille que révèlent au grand jour les combats contre les forces sionistes, Hajar, une jeune Palestinienne de Galilée, choisit d’écouter les conseils de sa sœur aînée, qui s’est sacrifiée pour élever ses frères et sœurs à la mort de leur mère, et rompt avec son passé pour suivre son amant en Grande-Bretagne.

Cinéma de femmes, la production des nouvelles réalisatrices palestiniennes place sur le devant de la scène, comme on le voit à travers ces rapides résumés, des itinéraires en rupture avec les représentations genrées traditionnelles. Toujours à la même époque, d’autres noms, moins connus parce qu’ils appartiennent au monde du documentaire, mettent en évidence la force de cette affirmation féministe palestinienne. À Gaza, Najah Awadallah (نجاح عوض الله) réalise ainsi entre 2008 et 2010 trois films qui retracent les itinéraires de femmes à la fois marginalisées et exceptionnelles : celui de trois Occidentales vivant dans la bande de Gaza avec leur famille, celui d’une jeune fille quittant sa famille à 14 ans pour assumer sa propre vie, ou encore celui de Sahbaa al-Barbari (صهباء البربري), la veuve du poète Muin Bseiso (معين بسيسو ). Tout aussi « féministe » est l’œuvre de deux autres documentaristes, Nahed Awwad (ناهد عواد), avec Maria’s Grotto (2007), une dénonciation de la pratique des « crimes d’honneur », et Abeer Zeibak Haddad (عبير زيبق – حداد ) qui recueille dans Dumâ (دُمًى , Marionnettes) les lourds témoignages de différentes jeunes femmes victimes d’abus sexuels au sein de leur famille.

Aujourd’hui, cette nouvelle génération s’enrichit de  réalisatrices qui ont la particularité d’être des « Palestiniennes de 48 » et non plus, majoritairement, des Palestiniennes de la diaspora ou de Cisjordanie. Aux côtés de Maysaloun Hamud, déjà évoquée, on peut ainsi citer les noms de Soha Arraf (سهى عراف ) qui a commencé par écrire des scénarios (La fiancée syrienne, 2004, notamment) et par tourner des courts métrages (تساء حماس , Les femmes du Hamas, 2010) avant de réaliser son premier long métrage, en 2014. La belle promise (Villa Thomas, en arabe) raconte l’histoire de trois sœurs héritières d’une riche famille chrétienne de Ramallah et qui comblent le vide laissé par la défaite de 1967 en cherchant à marier leur nièce.

Un film à l’identité mal définie pour beaucoup de critiques, essentiellement en raison des origines de sa réalisatrice. En France, il est ainsi classé, selon les sites, comme « palestinien » (La Croix, Allociné) ou israélo-palestinien (Télérama). En effet, Soha Arraf, désespérant de trouver des soutiens pour produire son film, a fini par se résoudre à accepter un subvention du ministère de la Culture de « son » pays, Israël. L’équivalent de 300 000 euros, une somme qu’elle a été menacée de devoir rendre parce qu’elle insistait, lors de la présentation de son film à Venise en 2014, pour qu’il soit annoncé comme une œuvre palestinienne. Inacceptable, ont alors affirmé les officiels israéliens, puisque les aides ont précisément pour but de soutenir la création « israélienne » ! Un argument parfaitement irrecevable, a alors affirmé la cinéaste palestinienne, pour laquelle l’identité d’un film tient avant tout à celle de son auteure, à son intrigue, au milieu dans lequel il se déroule. D’ailleurs, a-t-elle soutenu en une autre occasion (sur Al-Jazeera), qui donc affirmerait que le film Lebanon, de l’Israélien Samuel Maoz, est un film allemand au prétexte que son budget a été couvert, à 70 %, grâce à des aides financières allemandes ?

Comme l’histoire est cruelle pour les « Palestiniens de l’intérieur », la malheureuse Soha Arraf a dû également subir l’ostracisme des « frères arabes » puisque son film, qui devait être projeté quelques semaines plus tard au festival d’Alexandrie, a étrangement été retenu par les douanes égyptiennes, avant que l’on comprenne qu’il s’agissait en réalité d’éviter la polémique autour une œuvre qui avait reçu le soutien officiel de l’État israélien. De quoi déclencher la fureur de la réalisatrice suggérant qu’on épargne aux Palestiniens de nationalité israélienne pareil « blocus culturel » en les aidant financièrement au lieu de les insulter :

رسالتى ليس فقط لمصر بل للعالم العربى، ارفعوا عنا الحصار الثقافى، نحن فلسطينيون ولسنا بحاجة كل يوم لإثبات هويتنا وقوميتنا لأى أحد نحن نعيش فى عزلة ثقافية وفكرية عن العالم العربى، وإذا كان العرب حساسين تجاه التمويل الإسرائيلى فليتفضلوا ويخصصون «صندوق دعم» لمخرجى الداخل الفلسطينى بدلًا من أن ينعتوننا بأبشع الألفاظ ويشتموننا، فلتقم إحدى الدول العربية أو أكثر بإنشاء هذا الصندوق
J’ai un message, pas simplement à l’intention de l’Égypte mais de tout le monde arabe : Arrêtez ce blocus culturel ! Nous sommes Palestiniens et nous n’avons pas besoin, jour après jour, de confirmer notre nationalité à qui nous le demande ! Nous vivons dans l’isolement culturel et intellectuel. Si la question du financement israélien est un point sensible pour les Arabes, qu’ils créent un fonds de soutien pour les réalisateurs palestiniens au lieu de nous agonir d’injures ! Qu’un Etat arabe, ou davantage, s’en charge !

Les choses ne sont pas tellement plus simples pour une autre jeune réalisatrice, Maha El-Hajj (مها الحاج), dont le premier long métrage, Personal Affairs (أمور شخصية) est sorti l’année dernière sous l’étiquette « film israélien » lors du festival de Cannes, avec l’assentiment de l’auteure apparemment. Toutefois, quelques semaines plus tard, il était présenté à Beyrouth comme une œuvre israélo-palestinienne, si bien que certains, à l’image de ce qu’avait connu le film de Soha Arraf à Alexandrie, ont réclamé son retrait de la programmation.

Ce film que j’ai personnellement bien aimé (et qui fait penser au Elie Suleiman des débuts, Chroniques d’une disparition notamment) semble d’ailleurs poser à la critique étrangère des problèmes considérables. À l’image de ce que l’on a pu voir avec J’irai danser si je veux, de Maysalloun Hamud, les commentaires montrent une réelle tendance à évacuer, sciemment ou non, tout l’arrière-plan politique de cette « comédie israélienne sur une famille palestinienne (qui) ne traite pas directement du conflit moyen-oriental » comme l’écrit Télérama, et qui offre plutôt le « portrait d’une famille méditerranéenne universelle et intemporelle » ainsi que l’affirme le critique des Inrocks.

Tout le monde a le droit de ne pas apprécier le cinéma de Maha el-Hajj, mais il faut tout de même se voiler très fanatiquement la face (un défaut majeur me semble-t-il pour un critique de cinéma) pour ne pas percevoir, dans la chronique familiale de Maha el-Hajj, les échos du conflit palestino-israélien. À la fin du film par exemple, lorsque l’héroïne danse un torride tango avec son partenaire à l’intérieur d’une salle d’interrogatoire, la vitre sans tain par laquelle les forces de sécurité israéliennes observent le couple, bien cadrée au centre de l’image (1:30 dans la bande annonce ci-dessous), est un rappel parfaitement clair de la nature du regard sous lequel se déroule la scène.

On retrouve donc, avec les critiques de Personal Affairs de Maha el-Hajj (mais également dans celles qui ont bien souvent accompagné la sortie de La Belle Promise de Soha Arraf) une tendance déjà évoquée dans le précédent billet. Elle consiste à désamorcer, plus ou moins naïvement, les aspects « trop » directement politiques, à savoir ceux qui concernent l’occupation israélienne, au profit de questionnements moins « problématiques », parce qu’ils s’intègrent, sans poser les questions qui fâchent vraiment, à ce qui est recevable dans notre propre grammaire de la contestation…


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