Dans notre jargon, on appellerait ça le syndrome « Jean-Christophe Grangé« . L’art de faire monter la sauce sur une idée intrigante, sans jamais réussir à conclure de manière satisfaisante. Comme si la fin ne justifiait jamais les moyens.
Or c’est un peu la même impression que laisse le Fritz Lang de Gordian Maugg au sortir de la projection. Presque deux heures de film qui auraient méritées d’être amputées d’un bon tiers, en l’occurrence le dernier, traînant désespérément en longueur sans apporter quoi que ce soit de réellement intéressant.
Le concept et la démarche de Maugg eux, au moins, le sont. Ce mélange bien vu entre images d’archives, reconstitution historique, extraits de la filmographie de Lang, et pure fiction arrive à livrer une partition homogène, remarquable de cohérence, où les plans originaux, nantis d’une technique forcément plus aboutie, ne jurent jamais avec des images d’époque qui, de leur côté, ne dépareillent même pas encore aujourd’hui.
Une démarche formelle brouillant les cartes à merveille, en abolissant ainsi les frontières entre biopic factuel et récit romanesque, et jouant de cette zone grise pour semer alors le doute dans l’esprit du spectateur quant à la véracité des événements relatés.
À la fin des années vingt, en quête désespérée d’une idée géniale pour son prochain long-métrage, Fritz Lang en vient à s’intéresser à l’affaire du « Vampire de Düsseldorf« , tueur en série (terme anachronique eu égard à l’époque dépeinte) terrorisant une Allemagne aux prises avec les germes de la crise financière de 1929.
Un intérêt qui virera bien vite à l’obsession. Et avec elle, le passé trouble de Lang, la mort non élucidée de sa première femme, dès lors, réémergeront des limbes, à mesure qu’il saisira et comprendra les motivations du tueur, s’enfonçant toujours plus profondément dans la folie, l’absence d’empathie, et pourtant la fragilité de celui-ci.
Une étude poussée du profil du tueur qui, en même temps que de le troubler et de le confronter à ses propres démons, aboutira à la création de son premier chef-d’œuvre parlant : M le Maudit.
À contre-pied de l’affreux The Raven de James McTeigue, qui mettait également un créateur (en l’occurrence Edgar Allan Poe) aux prises avec un serial killer, Maugg troque donc l’ostentatoire pour une sobriété davantage contemplative, une approche s’intéressant en premier lieu à la psyché plus qu’au sensationnalisme qu’un tel sujet aurait pu appeler.
Et ça fonctionne. Si bien que l’illusion réel-fiction marche à plein. Le pari de la crédibilité de faits mi-retranscrits mi-fantasmés est entièrement réussi, et avec lui, une certaine fascination quant à la personnalité même de Fritz Lang ne manque pas d’opérer. Pourtant foncièrement détestable, mélange d’arrogance et de haute estime de son génie, le Fritz Lang dépeint par Gordian Maugg n’en reste pas moins un colosse aux pieds d’argile, aux nuances devant beaucoup à l’interprétation sans faille d’Heino Ferch.
De manière générale, le casting et la direction d’acteurs ne souffrent aucune contestation, ajoutant corps et épaisseur à des personnages dans l’absolu archétypaux, déjà vus ailleurs.
Non, si le bât doit blesser, c’est bien dans le format choisi par Maugg pour s’exprimer. Un mal qui traduit d’ailleurs le manque de variété quant aux catégories de films proposés au cinéma.
Courts ou moyens-métrages, tous sont éclipsés par les longs, à la durée standardisée (entre quatre-vingt-dix et cent-vingt minutes la plupart du temps) pour justifier un ticket d’entrée toujours plus élevé. Or Fritz Lang aurait justement amplement gagné à se rapprocher d’un format moyen, au sein duquel son scénario, et le rythme induit par ce dernier, se seraient véritablement exprimés.
En l’état, le film de Gordian Maugg pâtit d’un déséquilibre flagrant dans sa rythmique et son écriture, engendrant longueurs, bavardages superficiels, et greffes de séquences loin d’être essentielles.
À l’instar d’un marathonien qui piocherait dans le dernier kilomètre, Maugg peine, après un développement intrigant et des pistes narratives à l’avenant, à conclure son récit, s’enlisant alors dans une confrontation Lang-Peter Kürten (le fameux tueur) aux forts relents de psychologie de comptoir clairement insatisfaisants.
Une conclusion amère donc, pour un film à la proposition qui mérite, pourtant, qu’on lui prête attention. Gordian Maugg aurait cependant dû se rappeler, en dépit de ce que Robert Louis Stevenson a pu affirmer, qu’une destination ratée peut, à elle-seule, faire d’un voyage réussi un beau gâchis.
Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.