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Indiana – L’autre c’est moi

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Penser États-Unis, c’est voir New-York, Los Angeles, San Francisco, Miami. C’est aussi imaginer ces paysages grandioses de l’arrière-pays, le crépuscule tomber sur d’immenses terres délaissées, où restent, ci et là, quelques villes un peu paumées. Des lieux figés dans le temps, vestiges d’une conquête de l’Ouest toujours présente dans les mœurs et dans les têtes. Dans ces coins de pays reculés, difficile de croire que l’état fédéral a droit de cité.

En revanche, croyances de toutes natures, ésotérisme ou mysticisme sont, eux, bel et bien présents. Ils infusent même littéralement la vie des habitants. Dieux, esprits, fantômes, dogmes chrétiens ou rites païens (qui a dit que les sociétés nord-américaines ne devaient rien aux amérindiens ?), deviennent souvent les refuges cathartiques de traumas et de souffrances tabous, une donne amplifiée par la méfiance et la défiance constantes manifestées envers les institutions étatiques.

Les états du Midwest, terrains de jeu privilégié du cinéma des frères Coen, possèdent ainsi cette aura unique d’antithèse absolue à ce que les États-Unis peuvent renvoyer à l’international, sur le plan du progrès et de la modernité (moins depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, c’est vrai). Moins passéistes que traditionalistes, le Missouri, l’Iowa, ou le Minnesota restent ce pan d’Amérique qui échappe, aux yeux des autres occidentaux, à toute logique.

Indiana – L’autre c’est moi

L’arrière-pays américain, vecteur de mystères et de fantasmes, est donc, d’entre toutes, une source d’inspirations sans fins. Son immensité, ses zones désertées ou presque, ses mythes, ses légendes, son mysticisme irriguent sans discontinuer l’imaginaire de nombreux cinéastes, fascinés par sa nature insaisissable, sa réalité aux antipodes de toute norme.

Une atmosphère magnétique que Toni Comas a cherché à capter en priorité en posant sa caméra en Indiana. Un constat d’autant plus flagrant que la beauté de la photographie est sans conteste ce qui frappe en premier. Œuvre d’Anna Franquesa Solano, la direction photo traduit très justement cette volonté de conjuguer respect des lieux et mise en exergue de sa dimension irréelle.

Sans fards ni outrances, sans filtres exagérés pour saturer la lumière, Anna Franquesa Solano a réussi à mettre en valeur la superbe intrinsèque des paysages de l’Indiana, l’étrangeté des lieux traversés (du banal pavillon résidentiel un brin délabré, à une maison que l’on croirait hantée), tout en ne trahissant jamais leur véracité.

Un détail qui n’en est absolument pas un. Car c’est là toute l’habileté de Toni Comas quant au récit qu’il a choisi de réaliser : celle de faire converger croyance et réalité, l’une n’ayant jamais préséance sur l’autre.

À l’instar de ses Spirit Doctors – Michael, qui posséderait le don de voyance, et celui de communiquer avec les morts ; Josh, veuf, suivant son ami dans l’aventure, en faisant tout pour se persuader du bien-fondé des visions de ce dernier -, cette dualité, plutôt que de s’opposer, va cohabiter. Entre convictions et raison, entre scepticisme et béate adhésion, les personnages d’Indiana vont constamment osciller entre ces opposés, traduisant par là même la complexité du processus construisant ou déconstruisant ce en quoi l’on est amené à croire.

Si fantômes il doit y avoir dans Indiana, ce sont avant tout ceux d’une Amérique qui ne panse pas ses plaies, n’assume pas ses faiblesses, laisse les bourreaux (au détriment de victimes littéralement cachées) aller et venir en toute impunité.

Les Spirit Doctors, moins prosélytes qu’empathiques, apparaissent alors comme un réconfort à la fois farfelu et salutaire auprès d’une frange délaissée de la population qui, face à l’adversité et aux difficultés (en particulier de santé, qu’elle n’arrive plus rationnellement à expliquer ou à soigner) ne sait plus vraiment à quel saint se vouer.

Indiana – L’autre c’est moi
Une frontière ténue donc, entre ce qui tiendrait du réel et ce qui relèverait du fantasme, symbolisée par le personnage du grand-père interprété par Stuart Rudin (Giggs du Silence des Agneaux), aux allures de croque-mitaine débraillé, à l’hygiène limitée, aux yeux révulsés comme s’il était possédé, dont les émotions traduisent néanmoins une fragilité à fleur de peau emplie d’humanité.

Le surnaturel dans Indiana ne provient donc pas d’éléments extérieurs inexpliqués, mais bien du plus profond de chacun. Lors d’une interview radiophonique, Michael sera moqué alors qu’il essaie d’expliquer en quoi un UFO (objet volant non-identifié) peut aussi être une entité venant se greffer au corps d’un individu. Une nouvelle fois, la menace externe serait, en fait, interne.

La menace, tout comme l’espoir et le sens. La spiritualité, telle que présentée par Toni Comas, étant aussi un moyen de se raccrocher à la vie. Le parallèle avec A Ghost Story de David Lowery est ainsi tout trouvé : pour les morts et les vivants, trouver la paix n’est possible que lorsqu’ils se sentent complets, dans une certaine mesure accomplis.

Une approche que l’on pourrait qualifier de mesurée du fantastique, utilisée à très bon escient par Toni Comas, tant son film, certes jamais démonstratif, mais jamais minimaliste non plus, sait se faire angoissant tout en se montrant magnétique et intrigant.

Mené sans temps morts, ménageant malgré tout de vrais instants réflexifs, presque contemplatifs, Indiana possède tous les atours du film de genre abouti, élégant et travaillé, délaissant l’auteurisant qui le guettait pour mieux mettre de l’avant ses personnages, son cadre, et son sujet. Le vrai bon film de fantômes de cette année restait encore à faire : le voilà fait.

Indiana – L’autre c’est moi

Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.



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