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Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Publié le 04 août 2017 par Aicasc @aica_sc

LLEWELLYN XAVIER

Célébration

3 août – 26 septembre 2017

Fondation Clément

Avec  Célébration de Llewellyn Xavier, la Fondation Clément vous invite à approfondir votre expérience de la peinture abstraite. Après la cinquantaine d’œuvres historiques et muséales de l’exposition  Le  Geste et  la Matière, présentée au mois de janvier dernier en partenariat avec le Centre Pompidou, vous êtes conviés à découvrir les créations récentes de Llewellyn Xavier qui s’inscrivent, quant à elles,  dans l’abstraction caribéenne.

Bien que l’exposition de la Fondation Clément ne présente que les toutes dernières créations de Llewellyn Xavier , ne pas mettre en perspective cette série récente avec l’ensemble de l’œuvre serait  restrictif. Une certaine cohérence traverse l’ensemble : une forme d’engagement qu’il soit politique avec Jackson série ou écologique avec Global council for restoration of the earth’s environment, un incontestable amour de la nature avec Global Council ou Environment fragile et Célébration, un indéniable attrait pour l’expérimentation plastique, toujours renouvelée.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Spring horizon

Il convient de préciser au préalable que le parcours de Llewellyn Xavier , né en 1945,  est identique à celui de bien des plasticiens de la Caraïbe,  nés entre  1902 comme Wifredo Lam et 1945 comme Ernest Breleur,  ou encore comme Aubrey Williams en 1926 ou  Frank Bowling en 1936. Après des débuts dans la Caraïbe, il se rend en Europe pour élargir son horizon avant de s’installer à Sainte – Lucie. De retour dans son pays natal, il se consacre désormais à la glorification et la sublimation de la nature caribéenne  à travers une abstraction matiériste. En effet, les retrouvailles avec l’environnement  antillais déclenchent une mutation de sa création artistique. D’une certaine manière cet itinéraire artistique semble donc emblématique du contexte caribéen de l’époque.

D’une pratique fondée sur l’appropriation, le collage, l’utilisation des réseaux postaux, un art du comportement pendant les années londoniennes ou new- yorkaises, il revient après son retour à Sainte – Lucie à une expression plastique plus traditionnelle,  la peinture abstraite.

George Jackson series, Sex and Race series, Paul Robeson series, Global council for restoration of the earth’s environment appartiennent à la première période.

Au début des années soixante – dix, Llewellyn Xavier découvre par hasard  le destin de George Jackson dans une coupure de journal et décide immédiatement de créer une suite de collages inspirés de sa vie et de réclamer sa libération. Qui est George Jackson ? C’est un jeune délinquant américain de seize ans condamné à un an de prison minimum pour avoir participé au braquage d’une station-service et volé 71 dollars. En prison,  il fonde un groupe afin de militer pour la suppression du  racisme, le maintien  de la   dignité en prison et le renversement du  gouvernement des États-Unis. Considéré alors comme dangereux, il n’est pas libéré.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

A63837
Série Free George Jackson
1971

En 1970, il est accusé d’avoir assassiné un gardien en représailles, après le  massacre de trois activistes noirs par un gardien de la prison de Soledad en Californie.  Il est alors incarcéré dans une cellule de haute sécurité à la prison de Soledad. Jackson et ses deux autres co – détenus deviennent célèbres sous le nom des « frères de Soledad ». Placé en isolement 23 heures par jour, Jackson a étudié l’économie politique, les théories radicales et a écrit deux livres : « Blood in My Eye » (« Du sang dans mes yeux ») et « Soledad Brother » (« Frère Soledad ») qui sont devenus des best-sellers et ont attiré sur lui l’attention du monde entier.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Liberty
Série Free Georges Jackson
1971

Llewellyn Xavier, qui a découvert cette histoire dans une coupure de journal, réalise alors des photomontages agrémentés d’interventions au crayon ou à l’encre qu’il expédie à George Jackson et à des personnalités connues comme James Baldwin, John Lennon, Yoko Ono, Jean Genêt pour susciter leurs commentaires et leurs protestations. Le mode d’expédition des œuvres, roulées sur un tube de manière à ce que l’œuvre soit visible,  permet que tampons postaux et timbres soient apposés sur les oeuvres. Llewellyn Xavier correspond avec George Jackson sans jamais le rencontrer. Ce dernier sera abattu le 21 août 1971, trois jours avant de passer en jugement, dans la cour de la prison de San Quentin au cours de ce que les autorités décrivent comme une tentative d’évasion.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Letter from LLewellyn Xavier to John Lennon
Série free Georges Jackson

Ainsi Llewellyn Xavier se positionne par rapport à son environnement social, culturel et citoyen. Il est acteur de son temps. Ce qu’il met en jeu relève de l’attitude. On peut dès lors parler d’art du comportement. Sa démarche artistique se fonde sur la communication : faire circuler, construire des réseaux, concevoir la pratique sur la base de l’échange d’informations. C’est une forme  particulière de mail Art ou d’Art postal que Llewellyn  continuera d’utiliser dans la suite Global council for restoration of the earth’s environment. Ce qui intéresse alors,  Llewellyn Xavier  c’est l’engagement social et politique et la mobilisation d’un réseau en faveur de sa cause plus qu’une production poétique et esthétique que privilégie parfois l’Art Postal.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

I was born innocent and trusting
Série Free Georges Jackson
1971

Ces collages intègrent des photos de George Jackson prêtées par sa famille, des enveloppes, des timbres et tampons postaux, des citations, des essais de Jackson, des photographies de journaux notamment celle du Morning Star de Londres en 1971.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Strange fruit
Série Race and sex
1973

C’est une carte postale des années 20 et 30 montrant les lynchages et pendaisons pratiquées aux Etats – Unis que s’est appropriée Llewellyn Xavier  dans la série suivante Sex and Race où il traite de thématiques qui restent encore d’actualité aujourd’hui dans bien des créations plastiques d’artistes de l’ Atlantique Noir.  On pourrait évoquer les fresques et installations de papier découpé conçues par Kara Walker pour évoquer les violences sexuelles et raciales en Amérique.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Handcuff
Série Race and Sex
1973

Mais qui  est donc Paul Robeson qui donne son titre à l’ensemble d’œuvres qui succèdent à Sex and Race ? C’est  un acteur, athlète, chanteur et  écrivain américain, impliqué dans le mouvement pour les Droits civiques. La phrase que l’on peut traduire par J’ai rendu à L’Etat quelques services ; on le sait est prononcée par Othello dans l’acte V scène 2. Llewellyn Xavier ajoute un S… J’ai rendu aux Etats – Unis quelques services, on le sait.

Ce sont des œuvres de cette «  première période » qui ont participé à des expositions comme Back to Black. Cette grande exposition internationale a exploré le travail et l’influence des artistes noirs travaillant en Amérique, en Grande-Bretagne et en Jamaïque dans les années 1960 et 70. Elle  retrace l’impact culturel du mouvement des arts noirs à travers la peinture, la sculpture, la photographie, les graphiques et le cinéma  qui ont émergé au cours des deux décennies. Elle s’est déroulée à la  Whitechapel Art Gallery et à la New Art Gallery Walsall en 2005.  David A. Bailey (UK), Richard J. Powell (USA) et Petrine Archer-Straw (Jamaica) en étaient les curators.

Une fois rentré dans son pays natal, sensibilisé à la fragile beauté de la nature de Sainte – Lucie, Llewellyn Xavier  s’investit concrètement aux côtés d’hommes politiques dans le SLEDAC pour s’opposer à un projet de construction sur les Pitons. Si la thématique se déplace vers l’écologie, les moyens d’expression restent le collage et l’appropriation.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Untitled
Série Global council for restoration of the earth’s environment
1992

Avec Environnement fragile, l’artiste va plus avant dans l’expérimentation et l’analyse du rôle du récepteur de l‘œuvre d’art. Environnement fragile reste concentré sur le thème de la protection de la nature et prend une forme contemporaine, expérimentale  et originale qui met au centre la  réception active du regardeur. Des peintures abstraites sur carton, présentées dans des boîtes, sont offertes et non vendues. Le collectionneur choisit l’agencement de l’œuvre et en réalise le montage, d’ailleurs modifiable, à son gré. Ainsi, l’assertion de Marcel Duchamp, Ce sont les regardeurs qui font les tableaux, se trouve concrétisée dans son action et par son choix : laisser les morceaux dans la boîte, les disposer en étoile, en fleur. En effet, pour Marcel Duchamp, toute œuvre d’art a deux pôles  : « il y a le pôle de celui qui fait une  œuvre  et  le  pôle  de  celui  qui  la  regarde.  Je  donne  à  celui  qui  la  regarde  autant d’importance qu’à celui qui la fait.» ( Ingénieur du temps perdu , p.122)

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Untitled Série Environnement fragile
2004

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Untitled Série Environnement fragile
2004

Par la suite, si la thématique de la beauté de la nature et sa nécessaire préservation, reste la même, Llewellyn va revenir progressivement à une pratique plus traditionnelle, aquarelle d’abord puis peinture à l’huile.

Tout d’abord avec deux séries d’aquarelles.  Si la première est abstraite,   la seconde propose une interprétation multiple de l’image des Pitons à la manière des Tente – Six vues de Mont Fuji d’ Hokusaï (qui comprend en réalité quarante- six estampes). Les heures qui passent modifient la lumière et les couleurs des deux Pitons.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Banana Flower
Watercolors
1998

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Untitled
Série The pitons
2006

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Untitled
Série The pitons
2006

Aujourd’hui et depuis plusieurs années, le peintre privilégie l’abstraction et la peinture à l’huile pour exprimer son attachement à la nature. Il explore plusieurs procédés de traitement de la toile, de la large touche gestuelle et fluide à la manière d’un Paul Jenkins aux surfaces lourdement structurées par des matières épaisses. Sa pratique picturale associe  certaines caractéristiques de l’expressionnisme abstrait et de l’impressionnisme. Au premier, il emprunte le all over et l’expression à travers le geste, la couleur, la matière.  Au second, le rendu des variations et des chatoiements fugitifs de la lumière au moyen de la juxtaposition des couleurs. La matière et surtout la couleur sont les composantes fondamentales du style pictural de LLewellyn Xavier.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Licensure in crimson

Ni géométrique ni véritablement lyrique ou gestuelle, l’abstraction de LLewellyn Xavier est matiériste. Il travaille la densité, l’épaisseur, l’opacité, la texture du pigment. Les couleurs sont posées en empâtements et les gestes de fabrication laissent des traces. L’artiste expérimente différents procédés qui confèrent du relief à ses toiles.  Il y a bien sûr les larges touches abondantes mais aussi des lamelles de pigment séché semblables à des pétales de fleurs collées sur la toiles ou des minuscules billes multicolores que Llewellyn roule une à une à la main avant de les apposer sur le support , notamment dans  la série Blue ocean sanctuary.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

série Blue ocean sanctuary

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Détail

Si l’on considère que les peintures abstraites sont des images autonomes qui ne renvoient à rien d’autre qu’elles-mêmes, l’abstraction de Llewellyn Xavier se révèle à l’évidence moins radicale puisqu’elle reste tributaire d’une référence à la nature comme l’indiquent les titres où l’on note de nombreux noms de fleurs ou de couleurs. Mais le peintre se détache du sujet et le transpose totalement. Les peintures abstraites de Llewellyn Xavier  sont une retranscription des couleurs, des oscillations de la végétation. Comment ne pas se remémorer la phrase de Jean Bazaine : « Il est une autre forme de l’abstrait, celle qui se situe au-delà de la réalité et non en dehors, et qui comporte totalement transposée mais toujours présente, sa charge utile de monde concret ». Et il arrive que Llewellyn  brouille les frontières entre figuratif et abstrait dans certaines œuvres. Par exemple Blue Peacoks on a jade terrace où l’on devine un personnage du carnaval caribéen, Paille – banane ou Sansay qui n’est autre que Marianne la peau figue. C’est aussi le cas de Yellow bird.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Blue peacock in a jade terrace

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Yellow bird
2006

Par ailleurs, des œuvres comme Caribbean Damask ou Ancestral damask fusionnent traces amérindiennes et abstraction ce qui pourrait conduire à établir un parallèle avec Aubrey Williams.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Ancestral damask
2006

De nombreux artistes de la Caraïbe s’inspirent de la nature pour créer leurs peintures abstraites. On retrouve le pionnier jamaïcain, Eugène Hyde avec sa Crotons série mais aussi la contemporaine Hope Brooks. Cette dernière  cherche à retranscrire les phénomènes naturels de son environnement, la mer, les montagnes, la lune et à exprimer l’essence de son lieu de vie. Un artiste trinidadien, Kenwyn Crichlow (né en 1951) se consacre depuis des années et encore aujourd’hui à l’abstraction fondée sur l’expérience concrète de phénomènes météorologiques  comme le lever du soleil. Les titres de leurs  œuvres évoquent d’ailleurs souvent la végétation ou la faune antillaise mais aussi avant tout les couleurs du paysage. Llexellyn Xavier se situe donc dans cette mouvance .

Certaines des œuvres de Lllewellyn Xavier figurent aujourd’hui dans de prestigieuses collections comme celles du  Metropolitan Museum of Art de  New York, du  Museum of Modern Art de  New York, du  Victoria and Albert Museum de Londres entre autres. Ainsi le Moma a acquis deux œuvres de 1971 de la série Free George Jackson et Soledad Brother. Et d’ailleurs quinze lithographies de ces séries ont été exposées en janvier et février 1972 dans UNTITLED III,  une exposition  organisé par le service de prêt du MOMA qui réunissait  Robert Breer, John Goodyear, Nigel  Hall,  Elijah  Pierce  Llewellyn Xavier,  John Goodyear.

Ces œuvres de jeunesse ont été également sélectionnées pour participer à d’importantes expositions comme Back to Black.

Llewellyn Xavier à la Fondation Clément

Blue Chip Versailles
101×76,8 cm

Des œuvres plus récentes vendues aux enchères aux Etats – Unis atteignent des adjudications remarquables. Par exemple, Blue Chip Versailles, une huile sur toile (101.6 x 76.8 cm) de  2014, a été adjugée pour la somme de 93 750 $.

Lowery Stokes Sims,  spécialiste de l’art moderne et contemporain, successivement conservateur et curator dans plusieurs grandes institutions américaines comme  le Metropolitan Museum of Art, le Museum of Arts and Design, le Studio Museum in Harlem, resitue l’œuvre de Llewellyn Xavier dans une perspective caribéenne :

“La réponse de Xavier concernant la menace qui pèse sur l’écologie fragile de son île, est en effet la réponse d’un fils qui retourne au pays natal, dans le même esprit que Wifredo Lam, Aimé Cesaire et Alejo Carpentier, les vrais pionniers de l’émancipation culturelle et politique de la Caraïbe…

 Dominique Brebion

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