Magazine Bien-être
Peut-on suivre une voie sans accompagnement ?
Il semble que non, sauf pour de rarissimes exceptions : les traditions sont unanimes à cet égard. Parce que sinon on bricole sa voie à sa façon : je prends ce qui m’arrange et j’élimine ce qui me déplaît. Le maître est là précisément pour nous remettre en cause. Au début, il commence par nous apprivoiser. Puis au bout d’un moment, il va nous montrer certaines choses sur nous-mêmes qu’on ne veut pas forcément voir. Impossible de le faire seul. Il faut le regard neutre, bienveillant et en même temps ferme d’un être en qui on a profondément confiance. Car seule cette confiance peut nous permettre d’intégrer le choc de la remise en cause, d’accepter de regarder comment nous fonctionnons. Après tout, nous venons là pour changer, pas pour être indéfiniment bercés.
Quels sont les degrés de l’accompagnement ?
Je crois que dans toute école, un élève goûte l’indispensable lune de miel. Pour commencer, il y a un énorme transfert sur le maître, encore plus que sur un thérapeute, et peu à peu une relation de confiance s’établit à un niveau très profond. Cette lune de miel dure plus ou moins selon l’élève, par exemple s’il est très blessé psychologiquement, elle peut durer un peu plus longtemps. S’il est assez solide, le maître pourra intervenir plus vite. Cela dépend donc de la maturité de l’élève. Mais si on veut entrer dans le cœur du sujet, il faudra accepter d'être secoué, mis au défi. On entre alors dans une autre phase d’accompagnement dont la durée dépend de la force de notre mental, de notre déformation psychique. Plus cette déformation est puissante, plus il faudra éroder en donnant certains chocs, ce qui peut prendre du temps. Il n’y a pas d'accompagnement stéréotypé, c’est ce qui en fait la beauté. Je l’ai beaucoup vu auprès d’Arnaud. De l'extérieur, on pouvait se demander pourquoi il se comportait ainsi avec telle personne ? Nous - certains membres de l’équipe qui l’entourait - , nous aurions voulu être fermes et lui se montrait, au contraire, d’une patience à nous faire bouillir. Il laissait une situation perdurer, regardant les choses mûrir tranquillement jusqu’au point critique et là, il pouvait intervenir comme la foudre. Un maître est le roi du timing, le roi du moment opportun, il sait intuitivement quand ne pas intervenir et quand intervenir, alors que nous intervenons à partir d’une compulsion intérieure : il faut remettre de l’ordre là-dedans, c’est inadmissible, scandaleux ! C’est nous que cela dérange. L’accompagnement est un art qui suppose une réelle liberté.
Y a-t-il encore un autre stade après celui-là pour l’élève ?
Oui, quand on commence à être dégagé de la gangue du mental, c’est-à-dire de notre distorsion fondamentale, qu’on cesse d’en être dupe et qu’on devient vraiment soi-même et non plus une caricature, alors vient l’étape des questions fondamentales. Qu’est-ce que l’existence ? Entre le moment où je suis né et le moment où je mourrai, qu’est-ce que je veux avoir parcouru ? Au moment de mourir, serai-je prêt à tout lâcher ? Nous devons nous préparer. Les temps d’épreuves sont une excellente occasion de mûrissement. Quand on est touché en plein cœur, parce qu’on a perdu quelqu’un d’essentiel ou parce qu’on est confronté à une maladie grave, là on est obligé d’intégrer la dimension souffrance de l’existence, acculé à sortir d’une vision étroite « je veux l’agréable mais pas le désagréable ». Notre regard s’élargit alors, car la vie c’est l’ensemble, les hauts et les bas, les joies et les souffrances. Nous apprenons en quoi consiste le samsara, le fait d’être plongé dans l’existence et d’être confronté à l’impermanence, avec son lot inévitable de souffrances. La troisième étape concerne les questions existentielles. Un goût réel naît pour l’essence de la vie spirituelle, qui prendra des formes différentes pour chacun.
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