J’emprunte, en le transformant un peu, le titre d’un article publié il y a une quinzaine de jours dans la version anglaise du site Al-Araby al-jadid (publication londonienne, tendance « libérale » financée par le Qatar). Parmi les avancées soulignées figure la suppression des circonstances atténuantes pour les auteurs de « crime d’honneur » pris d’une « grave colère », avec pour résultat, dans certains cas, des peines fermes de six mois seulement. Quelques jours plus tard, un autre amendement est venu révoquer un article de loi qui permettait à l’auteur d’un viol d’échapper à sa peine en cas de mariage avec sa victime…
Ahaad Alamoudi, ‘Land of Dreams’, 2017Cette loi, lointain héritage de la présence coloniale, comme l’explique l’Algérienne Salima Mellah citée dans un article du site Raseef22, ne cesse de susciter des protestations partout dans la région. Au Maroc, elle a été amendée en 2014, et le Liban vient de l’imiter.
La Tunisie a fait de même il y a peu, mais en allant encore un peu plus loin puisque le texte voté par le Parlement tunisien renforce la protection des victimes de violences, notamment familiales. La loi pénalise désormais « le harcèlement sexuel dans les lieux publics, l’emploi d’enfants comme employés domestiques et prévoit des amendes pour les employeurs qui discriminent intentionnellement les femmes au niveau des salaires ». La Tunisie, comme on le répète souvent, est un pays pionnier dans ce domaine. En revanche, on sait moins que l’Algérie a voté, en mars 2015, une loi qui pénalise la violence conjugale contre les femmes en introduisant également, sur le plan juridique, la notion de harcèlement sexuel.
Alia Ali, ‘[Laysa] Ana / I am [NOT], 2017La même loi s’efforce de garantir les intérêts financiers des femmes mariées, en prévoyant une peine de deux ans d’emprisonnement pour les époux « disposant des biens ou des ressources financières » de leur femme. Dans cet esprit, le président tunisien Béji Caïd Essebsi veut aller plus loin encore en proposant d’introduire les dispositions légales qui permettront une égalité totale entre les hommes et les femmes sur la question très sensible de l’héritage. Des calculs politiques ne sont peut-être pas forcément étrangers à cette démarche, qui n’en reste pas moins assez « révolutionnaire ». Quand bien même l’esprit de la religion, comme l’affirment le président tunisien et ses alliés, va dans le sens de cette réforme, il n’en reste pas moins qu’elle va à l’encontre d’une interprétation littérale de ce qui est écrit dans le Coran sur cette question (notamment dans la sourate 4, Al-Nisâ’).On attend avec intérêt de voir si la loi tunisienne sera ou non modifiée, sans parler de l’application concrète des nouvelles dispositions (sachant que, depuis la nuit des temps ou presque, toutes sortes de formules juridiques permettent aux parents qui le souhaitent de protéger, ou même d’avantager, leurs filles). Dans l’immédiat, le projet tunisien a suscité la fureur des… Égyptiens, ou plus exactement de l’institution religieuse dans ce pays. Dans la droite ligne des positions les plus défensives et traditionnelles (comme on avait pu le voir il y a quelques mois sur la question du divorce « oral », valide pour la loi religieuse : voir ce billet), un des responsables d’Al-Azhar., un certain Abbas Shoman (عباس شومان), a déclaré que ce projet « heurtait de front les règles de la sharia » (تتصادم مع أحكام الشريعة).
Boushra Almutawakel, ‘Untitled 3’, 2011Si une partie de l’Égypte n’a guère envie d’évoluer sur cette question – un projet de loi pour baisser l’âge légal du mariage d’une mineure de 18 à 16 ans est toujours en discussion comme le rappelle aujourd’hui même le quotidien Al-Hayat –, sur les réseaux sociaux, l’affaire est entendue. La jeunesse égyptienne s’est mobilisée pour protester contre cette ingérence dans les affaires tunisiennes, et contre cette instrumentalisation politique de la religion (article du site Al-Arab online).
« L’Égypte n’est pas la Tunisie » (مصر ليست تونس) répètent à l’envi partisans et adversaires de la réforme légale tunisienne, soit pour s’offusquer du manque de rigueur religieuse des Tunisiens, soit pour s’opposer à l’ingérence des autorités religieuses égyptiennes au-delà des frontières de leur pays. Cette phrase, on l’a beaucoup entendue durant les soulèvements de l’année 2011, lorsque le régime de Moubarak n’avait pas encore perdu tout contrôle sur la situation. L’avenir n’est pas écrit mais, en ces temps où les bonnes nouvelles sont rares dans la région, on se réjouit de voir que les jeunesses tunisienne et égyptienne (et arabe) se retrouvent sur de nouveaux enjeux. Sans doute, les soulèvements de l’année 2011 se sont-ils terminés de la manière que l’on sait, mais leurs causes n’ont pas disparu, comme en témoignent les évolutions sociétales sur le statut des femmes.
Trop lentes, sans doute, trop incomplètes, mais bien réelles tout de même, notamment grâce au courage de certaines militantes. L’article mentionné au début de ce billet évoquait également, en autres signes positifs, la sortie de prison, à la fin du mois de juillet de Maryam al-Oteibi (مريم العتيبي). Après plus de cent jours de détention (et des soutiens locaux et internationaux), la jeune Saoudienne a gagné son combat contre la tutelle masculine imposée aux femmes de son pays : pour la première fois dans l’histoire du « Royaume des hommes » comme on le surnomme parfois en arabe, une femme a été libérée sans avoir pour garant une présence masculine. Presque une révolution en somme !
Maitha Demithan, ‘Mother’, 2017Les photos de ce billet sont tirées d’une exposition collective d’artistes arabes (femmes) qui s’est tenue à Amman sous le titre I AM.