Il y a peu, j’entendais à France-Culture Agnès Varda expliquer que quand elle a réalisé son premier moyen métrage le fameux Pointe-Courte, elle n’allait pas au cinéma et avait vu moins d’une demi-douzaine de films ; c’est son monteur, Alain Resnais qui lui en avait donné une liste. De même, Niels Bohr raconte (Bohr, 1991 : 332) que les inventeurs de la théorie des quantas, sortant du Lycée, avaient peu de connaissances en « physique classique ». Et Heisenberg a été prix Nobel à 31 ans. Enfin, celui que Marc Augé présentait comme un « révolutionnaire de l’anthropologie », Gérard Althabe (1932-2004) a élaboré sa démarche dès sa première enquête au Cameroun sans avoir lu le moindre livre d’anthropologie ni assisté à un cours. Citons le : « Je suis arrivé chez les Pygmées dans un état de virginité totale, tu vois, et donc j’ai bâti moi-même mon propre dispositif de recherche » (Traimond, 2012 : 29). Ainsi il apparaît que les capacités d’innovation de ces personnes résultent de leur ignorance des connaissances dominantes de leur temps. Comment expliquer cette situation qui traverse le temps et les disciplines ?
Rémy de Gourmont (1928 : 276) y voit une carence des enseignements : « Un professeur âgé de cinquante ans enseigne ce qu’on lui enseigna il y a trente ans ; mais cette science, qui fut donnée par un vieillard, était déjà très ancienne quand il la reçut » écrit-il. La formation reçue ne rend pas compte de l’état du moment de la discipline.
Une seconde raison, concomitante, réside dans l’académisme «cette répétition pompeuse de l’œuvre de maîtres reconnus » comme le dénonçait Geertz (1972 : 20). De leur côté, les élèves cherchent à reproduire les travaux antérieurs[1].
Archaïsme, répétition et conformisme qui trop souvent orientent les travaux académiques ont été définis d’une phrase par Pablo Picasso : « Ils ne connaissent que ce qu’ils reconnaissent ».
Bernard Traimond
BOHR, Niels, Physique atomique et connaissance humaine, Paris, Gallimard, Folio, 1991.
DE GOURMONT, Rémy, Le chemin de Velours, Paris, Mercure de France 1928.
GEERTZ, Clifford, « La religion comme système culturel », dans Essais d’anthropologie religieuse, Paris, Gallimard, Les Essais, 1972.
TRAIMOND, Bernard, Penser la servitude volontaire. Un anthropologue de notre temps, Gérard Althabe, Lormont, Le Bord de l’eau, Des mondes ordinaires, 2012.
[1] J’ai entendu lors d’une soutenance de thèse un impétrant au reproche de ne pas avoir analysé le détail des discours, répondre : « on ne m’a pas appris » . Il n’avait pas compris que toute recherche – et particulièrement une thèse – a pour tâche d’innover pas de reproduire.