Le mot «queer» a soulevé bien des interrogations dans les deux dernières années au Québec. Pourtant, la lettre «Q» pour «queer» figure depuis 1996 dans l’acronyme LGBTQ (lesbienne, gais, bisexuels, trans et queer). Ce n’est toutefois qu’en juin 2016, alors que Cœur de pirate faisait son coming out en tant que queer en réponse à la tuerie dans la boîte de nuit homosexuelle d’Orlando, que les journalistes québécois se sont intéressés au sujet.
À l’occasion de la deuxième édition du Queer Performance camp, un événement montréalais qui regroupe spectacles, ateliers, résidences et performances, Reflet de Société a rencontré deux artistes pour rendre plus accessible le terme queer.
Origine du terme
Queer est un terme américain. «Ça signifie étrange ou peu commun, traduit Gaétan Paré, artiste multidisciplinaire montréalais. À l’origine, c’était utilisé comme une insulte contre les gens non hétérosexuels ou transsexuels».
C’est vers la fin des années 1980 que les gens ont commencé à s’approprier l’insulte et l’ont transformé en expression positive. Le mot queer réunissait désormais les gens marginalisés par leur identité et orientation sexuelle sous une même bannière.
Le terme queer regroupe donc deux aspects : une identité personnelle d’une part, et un mouvement politique qui rejette l’existence des catégories d’identité de genre et d’identité sexuelle imposées par le système patriarcal. «Il est toutefois difficile de donner une définition claire à «queer», renchérit Tina Satter, artiste new-yorkaise œuvrant dans le milieu du théâtre. Le mot revendique en lui-même l’absence de catégorisation. Il permet aux gens qui trouvent les mots “gay” ou “trans” trop limitatifs, entre autres, de se définir avec un mot qui n’a pas de frontières rigides».
Gaétan Paré : s’identifier comme queer
À l’aube de ses 39 ans, Gaétan Paré s’identifie comme queer.
«Très jeune, quand j’avais 18 ans environ, je savais que j’étais différent, confie-t-il. Ce sont les écrits de Michel Foucault, un philosophe français homosexuel, qui m’ont d’abord ouvert les yeux sur les notions de genre, d’orientation et d’identité sexuelle».
À cette époque, Gaétan ne s’identifiait pas encore comme queer. «C’était déjà compliqué de dire que j’étais gai, je ne pouvais pas m’identifier comme queer en plus. Même si j’avais une amie qui étudiait en sexologie qui m’a clairement expliqué que la façon dont je parlais de mon identité était queer», précise-t-il.
Ce n’est qu’il y a six mois, en même temps que le début de la conception de son spectacle Opera omnia- je suis venu te dire, que Gaétan a commencé à s’identifier clairement comme queer.
«J’ai contacté Jean-François Boisvenue, un bon ami que j’avais perdu de vue depuis longtemps, car j’avais vu son travail cinématographique et voulais travailler avec lui, raconte l’artiste. En parlant de mes idées pour ce projet, il a fini par m’arrêter et me dire : t’est complètement queer, il faut faire ce spectacle dans le cadre du Queer camp!» À partir de cet instant, Gaétan a commencé à se revendiquer queer. «C’est devenu une obligation, un geste politique», affirme-t-il.
Le spectacle coécrit et réalisé par les deux amis, est construit à partir du personnage de Médée de la tragédie grecque écrite par Pierre Corneille. «Gaétan était obsédé par Médée, rapporte Jean-François. Médée, c’est un personnage issu de la mythologie grecque, connue pour avoir tué ses enfants pour punir son mari Jason de l’avoir répudié. D’habitude les gens trouvent que Médée c’est une criss de folle. Gaétan, lui, l’admire».
Gaétan voit ce meurtre comme une métaphore. «Je le vois comme un attentat au patriarcat, explique-t-il. Elle retire à Jason son pouvoir parental, sa possibilité d’être père. C’est une castration. Dans le monde hétéronormatif dans lequel on vit, la reproduction fait partie du patriarcat. Lui enlever le fruit de cette reproduction est un attentat à ce pouvoir masculin.»
Le geste de Médée peut être perçu comme un attentat au patriarcat, car en tuant ses enfants, elle se débarrasse de son rôle traditionnel de mère. Rappelons que pendant des siècles, les femmes n’avaient aucun droit et étaient considérées comme mineures toute leur vie. C’est par le mariage qu’elles donnaient un sens à leur existence. Elles accomplissaient leur destinée si elles engendraient des héritiers de sexe masculin pour perpétuer la lignée.
Tina Satter : intentions artistiques
De son côté, Kristina Satter s’identifie comme queer depuis ses études universitaires. «Quand j’étudiais avec Jess Barbagallo, une actrice et scénariste lesbienne, j’ai vécu ma première expérience queer romantique et artistique, raconte-t-elle. C’était une étape charnière pour moi».
Depuis, Tina veut montrer des situations qui vont à l’encontre de l’hétéronormativité. «Enfant, j’écoutais beaucoup la télévision, relate-t-elle. On y montrait toujours les mêmes situations sociales. Un garçon rencontre une fille. Une fille rencontre un garçon. Je veux montrer des situations où il est difficile de déterminer le genre de l’acteur, où des personnages masculins comme un coach de football, sont joués par des lesbiennes, bref où on transgresse les normes.»
Son dernier spectacle, Ghost Rings Unplugged, met en vedette un groupe rock imaginaire composé exclusivement de femmes. «Ce show est basé sur la relation que j’avais avec ma sœur lorsque nous étions adolescentes, rapporte l’artiste. Les frontières entre amour et amitié sont parfois très proches l’une de l’autre. Je n’entends rien d’incestueux par là évidemment, mais cette imprécision, ce flou ressemble beaucoup au sentiment d’être queer.»
Queer peut donc également traduire un sentiment d’étrangeté, de singularité par rapport au système. Il y a cependant moyen de ne pas s’isoler comme l’explique Tina. «Dans ma jeunesse j’avais beaucoup d’amis transgenres et j’assistais à leur lutte constante avec la société, se rappelle-t-elle. Pour éviter de tomber dans ce dur combat, j’ai fait le nécessaire : j’ai trouvé la communauté queer la plus près de moi, j’ai trouvé des mentors et j’ai lu beaucoup de littérature queer. J’ai trouvé des endroits de confiance pour m’exprimer ».
Termes utiles à la compréhension de l’idéologie queer
Patriarcat : Système social hétéronormatif dans lequel l’homme domine dans tous les domaines (politique, économique, familial et religieux) par rapport aux autres.
Hétéronormativité : Pensée qui pose l’hétérosexualité comme la seule orientation sexuelle possible ou comme supérieure aux autres.
Genre : Construction politique et sociale de la différence entre les sexes. Le genre se construit par les comportements sociaux adoptés par un individu. Ces comportements sont associés au masculin ou au féminin. Simone de Beauvoir disait d’ailleurs qu’«on ne naît pas femme, [mais] qu’on le devient», par nos interactions sociales.