Aller faire un tour dans le monde aux frais du contribuable est un des privilèges présidentiels. Soyons honnête : ce n’est pas forcément une mauvaise chose puisque cela sert normalement les intérêts de l’État français, et, parfois, celui des Français eux-mêmes lorsqu’il s’agit de défendre leurs valeurs et leur culture. Avec le récent déplacement d’Emmanuel Macron dans les pays de l’Est européen, on est cependant en droit de se poser franchement la question.
En début de semaine dernière, le président français avait une idée très claire lorsqu’il a décidé d’effectuer une tournée de trois jours en Europe de l’Est : pour lui, il s’agissait de convaincre plusieurs pays d’accepter le principe d’une réforme de la directive sur le travail détaché.
Vous connaissez déjà cette directive. C’est la fameuse « directive Bolkestein » qui avait été l’objet de polémiques effervescentes en 2005 alors que faisait rage la campagne du référendum pour le projet de Constitution européenne, et qui ne portait pas sur le droit du travail, mais visait à harmoniser les règles administratives d’accès des travailleurs dans un pays européen, empêchant ainsi la France de construire – comme à son habitude – obstacles administratifs sur obstacles paperassiers à qui voudrait s’implanter sur son sol pour y fournir des services. (Note : le texte original de la directive se trouve ici).
Très concrètement, cette directive permet aux travailleurs français, détachés dans un pays membre de l’Union pendant une période limitée, de bénéficier de tous les acquis et avantages sociaux français. Cela impose évidemment à l’entreprise qui détache de continuer à payer toutes les charges sociales françaises. De façon parfaitement symétrique, cela permet aussi à une société roumaine ou estonienne de détacher un ressortissant en France, où il subira l’abominable condition sociale que son pays réserve à ses citoyens, sans acquis ni avantages sociaux. Autrement dit, l’Estonien détaché en France se retrouvera avec la couverture sociale estonienne.
Bizarrement, les entreprises françaises ne se bousculent guère pour détacher les travailleurs français dans les autres pays. Inversement, les entreprises (de l’Est et du reste de l’Europe, en fait) détachent assez facilement leurs salariés vers la France où ces derniers se retrouvent très compétitifs, à salaire net égal.
Partant de cette constatation, n’importe quel Français un peu doué de raison aura naturellement compris que le matraquage des charges sociales et l’invraisemblable cornucopie de contraintes administratives constituent un obstacle assez colossal au développement de nos entreprises nationales, et une aubaine pour les sociétés étrangères qui bénéficient des standards artificiellement élevés et coûteux que nous nous imposons obstinément. En somme, la France devrait probablement adapter son système social antédiluvien aux nouvelles réalités économiques et sociales.
En revanche, pour les politiciens et les syndicalistes dont les postes dépendent ultimement de la frange de population absolument pas concernée par cette concurrence étrangère, la cause est entendue : c’est le reste du monde qui a tort et qui doit donc s’adapter.
De surcroît, Macron avait clairement annoncé qu’il serait là pour véritablement réformer le pays, pour faire de la politique autrement et pour remettre à plat ce qui devait l’être dans ce pays, à commencer par son système social. Énarque, inspecteur des impôts et parvenu à son poste par d’habiles manœuvres politiques et médiatiques, il était donc évident qu’il n’en ferait à peu près rien, voire tout son contraire : lors de sa tournée, le président français a rappelé que ce vilain dispositif accusé de favoriser le « dumping social » est une « trahison de l’esprit européen dans ses fondamentaux ». Il était donc parfaitement logique qu’il travaille au corps les chefs d’États rencontrés pour leur faire comprendre qu’en réalité, il était dans leur meilleur intérêt de fusiller leurs avantages comparatifs en barbouillant leurs systèmes sociaux des mêmes charges que le nôtre.
Ou, alternativement, que tout le monde rabote à mort cette fichue directive (dans le sens voulu par la France, ça va de soi).
Bizarrement, son discours n’a pas retenu beaucoup l’attention de ceux auxquels il était destiné.
Il faut dire que la diplomatie très alternative avec laquelle notre président à fait valoir ses « arguments » a certainement joué en défaveur de sa position pourtant si génialement intéressante : entre « La Pologne n’est en rien ce qui définit le cap de l’Europe » qui semble oublier que ce pays est membre de plein droit de la même Union que la France, et le « Le peuple polonais mérite mieux que cela » qui fait avec acharnement du trampoline sur la démocratie polonaise qui n’a rien à envier à celle qui, en France, fit voter par le parlement ce que le peuple refusa par référendum.
Inévitablement avec de telles positions si mesurées et si aimables, la réponse ne s’est guère fait attendre. Beata Szydlo, la Première ministre polonaise, a tout d’abord (et charitablement) mis les dérapages diplomatique du brave Manu sur le compte de sa jeunesse :
« Peut-être ses déclarations arrogantes sont-elles dues à son manque d’expérience et de pratique politique, ce que j’observe avec compréhension, mais j’attends qu’il rattrape rapidement ces lacunes et qu’il soit à l’avenir plus réservé. »
Elle a ensuite rappelé quelques évidences qui donnent tout leur sel à la position française :
« Je conseille à M. le président de s’occuper des affaires de son pays, il réussira alors peut-être à avoir les mêmes résultats économiques et le même niveau de sécurité de ses citoyens que ceux garantis par la Pologne. »
Ah bah oui, c’est vrai, on l’avait un peu oublié mais en effet, compte-tenu de la trajectoire économique française comparée à celle de la Pologne, on est en droit de s’interroger sur la pertinence de l’analyse macronienne du problème : difficile pour le brave Macron de tenter de parler des problèmes des autres quand on arrive les bras chargés de casseroles.
D’autant que, si on en revient à la directive elle-même, de nombreux économistes ne manquent pas de souligner ses avantages non négligeables puisqu’elle permet de doper les profits des grandes surfaces françaises, très implantées en Pologne. Comme je l’ai écrit plus haut, si un effort devait être fait, il serait bel et bien dans l’autre direction, celle qui consiste à aligner progressivement le galimatias pesant de taxes et cotisations sociales françaises délétères sur la moyenne européenne, et non l’inverse.
Enfin, cette position du président français est d’autant plus embarrassante diplomatiquement qu’en parallèle, lui et son gouvernement n’ont pas fait mystère de tous les avantages et autres salamalecs (abrogation de l’extension de la taxe sur les transactions financières, suppression de la tranche de la « taxe sur les salaires » pesant sur les gros salaires du secteur financier, diminution du coût de licenciement d’un trader, …) qu’ils seraient prêts à mettre en place pour accueillir toute la City financière alors que les accords du Brexit se mettent en place.
Pire encore : dans la même veine de manœuvres diplomatiques si spectaculairement stupides, Macron, son gouvernement et tous les hauts responsables français derrière eux semblent ouvertement souhaiter le plus d’effets préjudiciables à la City de Londres, et ce, même si Paris n’en bénéficie pas.
Autrement dit, Macron montre ici toute l’ampleur de son « génie » diplomatique en conspuant presque ouvertement les travailleurs polonais (salauds de pauvres, va !) après avoir outrageusement favorisé l’arrivée de salariés londoniens.
Évidemment, toute cette belle intelligence, toute cette finesse dans les relations internationales, ça ne peut qu’aboutir au meilleur.
Forcément, ça va bien se terminer.
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