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Ah mes chats !

Publié le 28 juin 2008 par Jlhuss

numerique-006bis12143346081.1214415690.jpgAh mes chats ! Vous passez et repassez pour toujours dans mon cadre, vous vous frottez aux guiboles, dormez sur mes lits, mordez mes caresses par trop d’exaltation, rassurez mes nuits et mes peines.

Enfant, c’était la Féline. Le vétérinaire devait la « piquer » à la demande de ses maîtres qui l’avaient déclarée « méchante ». Il ne s’y résolvait pas et avait appelé ma mère : nous venions de quitter un appartement pour une maison à la campagne. Ce jour-là, j’arrive un peu réservée, accompagnée de « ma maman » - je revois la scène et toute ma prudence. Je suis impressionnée par cette jeune femelle qui crache et rouspète de peur dans sa cage. Elle est si belle, siamoise un peu bâtarde, couleur sable chaud et noir merle. Je crois que je n’ai jamais rien vu de si désirable. Elle fixe sur moi des yeux ronds d’émotion.

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Nous l’emmenons. Elle avait des chatons dans le ventre et ça, le vétérinaire ne l’avait pas dit … Toute timide et câline, jamais « méchante », elle garda toujours de sa première vie de chien une peur du vaste monde et des nouvelles têtes. Je l’adorais. J’avais follement envie de me fondre dans sa fourrure, dans sa chaleur, elle gardait mes maisons de chiffons et de poupées, elle croquait mes fantômes et veillait sur ma bonne solitude d’enfant unique. Très brave, ma mère l’a soignée et accompagnée jusqu’au bout, émue pour toujours par la vulnérabilité de l’animal malade, la détresse toute simple dans les yeux du chat qui mourrait. Moi, je n’ai pas vécu la fin. Le chat est mort avec mon enfance. J’ai encore son image, comme le visage d’une grande amitié primaire sur la photo de classe. Parfois, je la vois encore passer dans mon bureau, au coin d’une porte…

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Verlaine. Pas le poète, le chat de ma grand-mère. Encore un siamois, longs poils, quelque chose d’attilesque et de gracieux à la fois. Une clochette à son cou le condamne, malgré ses souplesses de puma, à la chasse infructueuse dans la pinède qui entoure la maison dominant l’étang de Berre. Il n’attrape que d’énormes lézards verts qu’il dépose sous le lit de mon grand-père. Il dédaigne les invités. Il me tolère. Je ne l’embête pas, je le laisse dormir dans l’ombre de la terrasse. La chienne Bruce part le chercher chaque soir en sautant la rambarde de bois. Ils sont très amis. On entend leurs pas crisser sur les aiguilles sèches. Et soudain, la clochette saute sur la terrasse, suivie du chien, ravi. Un jour Bruce, ou son fils Kasimir (je ne sais plus), ont cherché Verlaine en vain. Toute la soirée, la nuit et tous les jours suivants pendant des semaines, mes grands-parents ont guetté la clochette. Des années après, j’en suis certaine, ma grand-mère l’entend encore.

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Pré-ado, voici le Diabolo. Il est le fils athlétique et renversant d’un chat des bois inconnu et d’une princesse siamoise nommé Neva. Une amie de mes parents distribue la portée avec entrain et un certain talent de communication. Mon père -sur un coup de tête et pour me ravir une fois de plus- choisit un jeune mâle tigresque. Ma mère se laisse faire, je le baptise. Féline, qui le tolère, règne sur la maison, lui sur ses environs… pas très longtemps : Diabolo n’est pas « castré » (Papa très concerné refuse l’opération). Le chat meurt trop jeune, terrassé par la curiosité et l’appétit, dans le bois à renards qui avale le chemin d’en bas. Tendre mais goujat, impatient sous la caresse, Diabolo est le chat des derniers dessins animés, grimpeur de lierres, bouffeur de mulots, bête de scène.

Adulte, je me languis des chats. Les années ont passé. Sans chat, pas de repères. Le temps est élastique. Je caresse les chatons qui passent à portée de main, les hostiles comme les charmeurs. Plusieurs fois, je manque d’en rapter un au passage, de répondre à une promesse de don scotchée sur la porte de la boulangère. Depuis la mort de la vieille féline, on n’a même plus le droit d’y penser. Je vis à Paris, je travaille, je vis ma vie, mais l’Omerta familiale pèse sur moi à distance. La famille Hussonnois reste veuve de son chat et puis c’est tout. C’est sans appel. Plus d’âme dans les maisons, sans joie plus de peine, pas de poils sur les coussins.

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Je pars seule en Italie cet été-là. Je retrouve des amis à la montagne, vers Asiago (quel fromage !). Nous partons nous balader en voiture et nous arrêtons dans un café, à Maddarello, un hameau. Sur le chemin qui monte vers la forêt, le long d’un tas de bois, je la vois pour la première fois. Toute petite et hirsute, délurée, elle lutte avec des papillons imaginaires et gobe les mouches de son premier été. Je m’accroupis, je gratte le sol longuement, je l’appelle en chuintant. Elle hésite, elle tangue, puis se dirige vers moi, la queue en l’air, toute crâne et joueuse. Je l’attrape d’un coup. Je la roule contre moi. Elle se laisse prendre. Sa tête est grande comme un gros abricot, son corps tout grêle, elle est superbe. Ses moustaches comme des avirons dans le soleil, le ventre sablonneux, la soie noire des pattes. Une fois sur la terrasse du chalet resto (dont elle grignotait une heure avant les arrières-poubelles), la voici devant une soucoupe de lait bien gras. « C’è una gatta che ha fatto tanti gattini cui vicino questa primavera, sono senza casa… ». Je regarde le patron. Le chat s’est endormi sur moi. Mes amis me crient, ravis : « allora è tuo! ». Douce et follette, vive, maligne, la bellina se fait tout de suite aux usages et ne laisse aucune chance aux arguments qui me tirent vers la « remise en liberté ». La veille j’avais revu sur Rai Uno la Dolce vita. La grande Anita dans sa robe de soie  arpentait une fois de plus les rues noires de Rome avec un chaton blanc sur la tête :  « Where are you MarceLLLo ? ». Marcello. Voilà un nom pour mon chat. A ce moment là, allez savoir pourquoi, je crois que la chatte est un chat. Le vétérinaire italien voisin (costard classe et chemise blanche ouverte) m’annonce que c’est une femelle. Trop tard, on garde Marcello. Je lui fais part de mes doutes au sujet de l’import du chaton, la ville, l’appartement petit, le manque d’espace…, tandis qu’il nettoie imperturbablement  les oreilles acariennes de la petite, répond aux objections nombreuses que je formule avec un sourire miellé. Il ne trouve pas de puces. Le chat se laisse faire avec grâce. Il me dit que c’est un très beau chat, c’est vrai qu’elle est exceptionnelle. Pour finir, il me déclare dans une œillade convenue et un Français impeccable : « Oh mais moi j’aimerais tellement être à la place de ce chat et venir vivre à Parigi… Il a beaucoup de chance ce chat…  mademoizzzelle … ».

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Je désarme.

Le soir même, prise d’un dernier doute devant la vie de chat en appartement et l’ire maternelle présumée, je tente de la « remettre à l’eau ». Je demande à mon amie Stefania de nous reconduire à Maddarello en voiture afin de ramener le chat sur son droit chemin. Elle proteste, on s’engueule. Je tranche. Plus un mot. Le chat est sur mes genoux. Nous arrivons sur la placette de terre battue devant le chalet. Le ciel est menaçant depuis quelques kilomètres déjà. À peine le frein à main est-il serré qu’un rideau de pluie d’encre tombe droit sur le bout du capot. Mon amie me regarde.

Je désarme.

On se marre. On fait demi-tour. Le chat se rendort sur mes genoux. Le lendemain, c’est l’éclipse solaire totale. Août 99. Depuis, je vis dans l’ère Marcello. Mon âge adulte. Quand j’y chercherais des repères, des dates, je penserais à elle, le « daimon » protecteur.

Immigrée à Paris entre quatre murs, elle se remplume avec joie. Elle grandit. Le ciel est moins haut, mais la gamelle pleine. Elle dort dans mes cheveux chaque nuit. Je change mes oreillers chaque jour. Elle m’attend derrière la porte, ne fait pas d’autre bêtise que de planquer des “trucs” sous le canapé, que les déménageurs trouveront, amusés, en tas sous le sofa. Mon père, bon complice, est informé, ma mère non. Un week-end, je prends le chat avec moi pour faire les présentations. Le chat passera la première nuit dehors, en mémoire félinienne.

Janvier 2000. Je suis à l’étroit dans mon deux pièces étudiant. Déménagement. Acceptée depuis quelques mois, et même secrètement désirée, Marcello séjourne en “province” dans le 4 étoiles parental. Elle m’en a voulu longtemps, de ses grands yeux jaunes, ne comprenant pas que là où j’allais (un appart prêté le temps des travaux) les chats plein de poils et de sortilèges n’étaient pas tolérés. Trois mois de chantier. Trois mois de villegiatura pour Marcello, qui s’installe dans sa vie de femme entretenue et dans le jardinet qui lui offre des battements d’ailes, des abeilles, des voisins rivaux à surveiller et de nouveaux jeux. Depuis, Parigi : c’est fini. Les terrasses des cafés où elle restait avec Moos, assise sur les pages éco ou TV du journal pendant des heures, fini. Les promenades au jardin des plantes et la grimpette dans les platanes, fini.

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Aujourd’hui, elle minaude avec ses nouveaux maîtres tout son soûl dans le calme chanoine de la bonne ville d’Auxerre. Lorsque je rentre, elle sait bien que c’est moi, l’odeur de mes cheveux, la voix, le chemin du chalet. Elle déboule sans trop marquer son attachement, mais je sais qu’elle tressaille quand même de plaisir, et moi je retrouve ses grâces infinies. Nous nous aimons, et quand je la regarde, que je sens son pelage et l’embrasse, la présence de tout son petit être animal me bouleverse. Elle me voit et cligne lentement des yeux pour me dire : je comprends.


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