Onze ans après sa mort en août 2006, plus de cent après sa naissance (en 1911), Naguib Mahfouz (نجيب محفوظ) continue à dire bien des choses sur l’Égypte. Moins par son œuvre, sur laquelle on peut penser que tout a été commenté, que par la manière dont on parle de lui, aujourd’hui, dans un pays qui ne se remet pas bien des convulsions de la révolution de février 2011 (même si on y observe depuis quelques mois une impressionnante reprise du tourisme, auprès des voyageurs allemands et ukrainiens apparemment).
Avec le temps, en effet, les langues se délient. On apprend ainsi au détour d’un article (en arabe, comme la majorité des autres liens) que le cercueil supposé emporter sa dépouille lors de ses funérailles, dans le quartier qu’il a contribué à rendre mondialement célèbre, celui de la Gamaliyya (Khan el-Khalili), près d’Al-Azhar, était vide. Car à la mort de l’écrivain, les services officiels de la République avaient décidé de prendre les choses en main. La famille avait ainsi été littéralement dépossédé de la dépouille mortelle, essentiellement pour permettre au président de l’époque, Hosni Moubarak, de se montrer (guère plus de trois minutes) lors de l’enterrement officiel, organisé, pour plus de sécurité, à la la mosquée Al Rashdan, également connue sous le nom de « mosquée des forces armées » !
Plus ou moins en toc, le pauvre « collier du Nil » (le « collier du Nil » du pauvre si l’on préfère) a été donné par la famille pour enrichir (si l’on peut dire !) les collections d’un musée destiné à honorer la mémoire du seul et unique prix Nobel de littérature en langue arabe à ce jour… Il rejoint ainsi d’autres trésors, tout aussi symboliques, tels que la canne personnelle donnée par le romancier (selon une tradition importante dans cette région) à l’un de ses « confrères », le très légitimiste Mohamed Salmawy (محمد سلماوي). L’idée avait été évoqué dès le décès de Mahfouz et le lieu, une mosquée ottomane du XVIIIe siècle jouxtant Al-Azhar, retenu ; les travaux ont été lancé mais, onze plus tard, on parle encore d’une inauguration prochaine ! Pourtant, dans les rues du vieux Caire fatimide, rénovées et quelque peu muséifiées, un tel endroit pourrait faire une bonne attraction touristique. Un peu à l’image de ce Mahfouz Tour (مزارات سياحية وثقافية) que les autorités avaient également décidé de mettre en place en 2007 et qui attendtoujours d’être organisé… En fait, c’est une excellente association privée (CLUSTER, pour Cairo Lab for Urban Studies, Training and Environmental Research) qui a un temps repris l’idée…
On en reparle aujourd’hui avec « l’affaire du collier » mais, à la vérité, voilà longtemps que les admirateurs de Naguib Mahfouz savent à quoi s’en tenir sur la destinée posthume d’un homme qui aimait autant son pays qu’il savait bien en parler dans ses textes. Pour le centième anniversaire de sa naissance, quand seuls les Suédois de l’académie Nobel paraissaient s’en souvenir, un autre fait divers avait révélé la triste situation d’un pays, il est vrai plongé dans une révolution dont on sentait déjà qu’elle tournerait mal. Un scandale avait en effet éclaté lorsque la société Sotheby’s avait annoncé la vente aux enchères d’un important lot d’archives privées du grand romancier : entre autres témoignages importants, un manuscrit resté inachevé d’une œuvre écrite dans les années 1930 (Qissa min al-sûdân, « Une histoire du Soudan »), un autre texte de la même époque composé de réflexions philosophiques (la première formation universitaire de l’écrivain), des manuscrits de plusieurs nouvelles ou encore une partie du dernier texte publié de l’auteur, Rêves de la période de l’insignifiance (أحلام فترة التفاهة), des très courts morceaux composés d’une écriture tremblante alors que son auteur se remettait difficilement de la tentative d’assassinat perpétrée en 1994 par deux jeunes fanatiques qui devaient reconnaître qu’ils n’avaient jamais lu une ligne de son œuvre… Alertés, la famille et quelques admirateurs de l’écrivain avaient réussi à faire annuler la vente de documents obtenus on ne sait comment. Une histoire rocambolesque dont l’issue, toutefois, n’a jamais été écrite puisqu’on ne sait pas ce qu’il est advenu de ces fragments de la mémoire culturelle de l’Égypte.
Les illustrations qui accompagnent ce texte sont dues à Gamâl Qutb (جمال قطب), décédé en octobre 2016, un illustrateur intimement associé, pour beaucoup de lecteurs, aux premières publications de Naguib Mahfouz, celles des éditions Maktabat Misr.