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Jamais la Mystic River n'aura si bien porté son nom. Dans le drame policier homonyme de Clint Eastwood, les cœurs se révèlent au bord de l'eau, et les reflets sociaux se troublent.
« Drame policier », et non « film policier ». Contrairement à un film ou une série standards – mettons Les Experts –, Mystic River ne s'ouvre pas sur un cadavre. Assez tôt survient le meurtre, mais le visage de la victime, bien connu du spectateur et des personnages, hante le récit et le rend profondément dramatique. Ce n'est pas tant l'enquête scientifique, la traque minutieuse du coupable qui compte, mais la mise à nu des sentiments, qu'avec pudeur explore la mise en scène classique.
En s'ouvrant sur une sombre histoire de pédophilie, Mystic River donne un caractère tragique à l'étude du cœur humain. Chargé d'intimité, le récit multiplie tensions, quiproquos, rivalités intestines entre amis d'enfance, et brouille une définition stéréotypée du héros de film policier.
La caméra de Clint Eastwood investit à merveille ces espaces de fracture dans le visage social. Malgré leurs airs de gros dur, Sean Penn et Kevin Bacon vacillent dans leur rôle – respectivement d'ancien braqueur et de policier – et succombent à leurs problèmes intérieurs. Les gros plans baignés de lumière et la photographie modeste propre à Tom Stern saisissent ces instants, ces failles dans le masque du mec, ces pleurs, ces sanglots étouffés et ces grimaces qui expriment une douleur indicible.
On pourrait reprocher à Eastwood de s'intéresser presque exclusivement aux hommes blancs (catholiques, pour une fois). Il est vrai que Laurence Fishburne se cantonne au rôle de l'inspecteur minutieux auxiliaire, là où Kevin Bacon comprend la complexité de l'âme humaine. Les femmes ont un rôle plus ambigu : bien qu'en retrait dans l'action, elles font néanmoins céder les certitudes masculines et font émerger l'émotivité des hommes, sans avoir elles-mêmes à verser dans les larmes.
L'humanisme de Clint Eastwood se situe là. Il s'attaque à des représentations stéréotypées de l'héroïsme pour révéler l'humanité qui vit sous le masque, mais cette attaque n'a rien d'une satire désabusée des grands idéaux. Il ne met pas non plus en scène une humanité désœuvrée, prise au piège d'une errance post-moderne.
À l'image des héros de Mystic River, les personnages des films de Clint Eastwood s'inventent des quêtes qui donnent un sens à leur existence. Et cette quête, qui dévoile l'ambiguïté de la psyché humaine, restaure toute la dignité de la personne, si cruellement bafouée.
Mystic River, de Clint Eastwood, 2003Maxime