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Ostinato. Versets panthéistes

Par Balndorn
Ostinato. Versets panthéistes
Troisième volet de ce voyage dans la poésie contemporaine française, aujourd'hui consacré aux fluides versets du poète Louis-René des Forêts.  
« Piégé entre les quatre murs de la Règle, il se détourne pour écouter le vent sur la mer plus éblouissante au sommet des toits qu’une bêche frappée par le soleil.
Dans une volée de varechs et de galets, les culbutes des soudards en herbe croisant le fer pour la possession d’un talus rocheux et jouant avec emphase à qui pourra le mieux simuler la mort.
Dos au mur, jambes croisées, se tenant désespérément à distance des frêles clameurs auxquelles son corps tendu pour mieux entendre brûle et refuse de s’unir.
Oubliant les raisons qu’il a d’être en larmes pour faire face, poings fermés, jarrets tendus, à ceux qui le narguent, trop faible pour les réduire, mais l’œil si méchant qu’ils prennent peur et battent en retraite, comme interloqués à la vue de ce visage méconnaissable qui, une fois franchies les limites du jeu, a l’éclat meurtrier d’une folie impossible à contenir.
Vêtu d’une vareuse en toile à rayures blanches et noires dont le col pavillonne au-dessus de sa chevelure ourlée de soleil, les mollet dans la flaque où vibrent les crevettes, le sel du large lui soufflant sa poudre au visage qu’il pigmente et rosit comme un brugnon. Sur la déchirure du couchant, par-delà les brise-lames battues d’écume, les nuages, le glorieux feu de leur duvet. »
Le vent du large souffle dans la prose de Louis-René des Forêts. Prose, ou plutôt faudrait-il parler de versets, tant l’unité de souffle organise chaque strophe du long poème que représente OstinatoMais Des Forêts donne un autre sens à la forme biblique des versets, à qui Paul Claudel, dans la première moitié du XXesiècle, insuffla une nouvelle vigueur. Contre « les quatre murs de la Règle », signe de la probable appartenance du personnage à un ordre monastique, se déchaîne une énergie qui renoue avec les éléments déchaînés et la sensualité la plus hédoniste. Le verset se fait la voix d’une cosmogonie panthéiste.
Un parfum de Bretagne se dégage des « varechs », « vareuse » et autres « crevettes ». Ce monde minéral, que l’on croit immobile, s’agite sous nos yeux au gré des mots et du rythme. Une étrange énergie anime les « talus rocheux », « chevelure » et « brise-lames ». Et, sans changer d’apparence, sans physiquement bouger, le visage se fait « brugnon », et les nuages « duvet ». La force des versets de Des Forêts réside dans cette transmutation continue et non-narrative du monde. Comme si, à l’instar du personnage, la seule contemplation des choses déployait les énergies latentes qui les habitent, auxquelles le langage donne une forme fluide qui s’adapte à leurs expansions.Sans récit donc, la voix du poète met en branle le monde, ou plutôt révèle le mouvement qui anime jusqu’aux choses qu’on pensait les plus immobiles. On pourrait se plaindre du caractère peu moderne, voire « romantique », de cette conception de la poésie. Mais qu’importe : le sublime éclate en chaque mot.
Ostinato, de Louis-René des Forêts, 1997
Maxime

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