C’est un joli nom, camarade. C’est un nom commun d’une noblesse toute particulière. A la différence de certains noms propres, qui ne le sont pas tant, il arbore fièrement liesse et solidarité sur chacune de ces lettres. Des lettres, assemblées pour faire rimer les mots, des lettres qui expriment l’espoir autant que la colère, des lettres assumées, coriaces, des lettres de combat pour faire triompher la démocratie locale et l’idée originelle de la République sociale, voilà le leitmotiv de Pierre Blondeau, que met en image Olivier Azam, dans son facétieux documentaire intitulé La cigale, le corbeau et les poulets, sorti en DVD chez Les Mutins de Pangée, ce mardi 3 octobre 2017.
En 2009, en plein mandat sarkosyste, un déséquilibré, signant ses missives « Cellule 34 », envoie des lettres de menaces à diverses personnalités de droite dont le président de la République fait parti. Prise très au sérieux par les autorités, l’affaire dérape lorsque les services de police confondent prises de positions engagées et terrorisme, lettres de menace et poésie, citoyenneté et trouble à l’ordre public. A Saint-Pons-de-Thomières, onze amis, un peu poètes, un peu baroudeurs, révolutionnaires dans l’âme, activistes du quotidien, camarades de divers horizons, militants associatifs aux Secours Populaire et à Attac, communistes, trotskistes, anarchistes, vont être raflés au petit matin pour subir des interrogatoires, en dépit du bon sens, basés essentiellement sur un délit d’opinion…
Du drame de ces arrestations arbitraires, Olivier Azam a su tirer tout autre chose qu’un apitoiement stérile sur les dérives totalitaires d’un État capitaliste aux abois dont on ne cesse de noter les signes de déliquescences. Dérives dont les prémices, à l’heure du soubresaut macroniste, se voient dans de tels événements, et dont l’entrée de l’État d’urgence dans le droit commun, ayant davantage servi à pourchassés les zadistes que les terroristes islamistes, est une inquiétante avancée pour les libertés publiques. Il a dégagé des péripéties de ses héros, une force joyeuse qui redonne du baume au cœur, une envie d’agir contagieuse, dans une fièvre républicaine et sociale. La cigale, le corbeau et les poulets est de ces œuvres facétieuses et intelligentes, dans la lignée de l’univers de Pierre Carles, qui remette la lutte des classes dans son assertion la plus joyeuse, distillant tellement de bonne humeur, d’espérance presque candides que l’on ne peut que se sentir porter, encourager à prendre la suite. Après Merci Patron !, filmé par la même équipe, le documentaire d’Azam est une très bonne surprise.
Pierre Blondeau, buraliste, ancien parachutiste, créateur de la cellule communiste de son village, n’illustre là qu’une de ces multiples casquettes. Avec ces camarades qui viennent boire un verre à La Cigale, son petit bar de village, sa librairie régionaliste comme l’annonce la devanture, il est de tous les combats locaux. L’acte fondateur fut de se battre contre une décharge à ciel ouvert dans laquelle, en violation de la loi, et avec la complicité de la mairie, Véolia déversé les déchets sans les trier. Puis vient la joute avec EDF pour protéger leurs petits coins de nature des éoliennes industrielles. A ce sujet, que nous ne développerons pas ici, les bonus du DVD sont éclairants sur leur nature contre-productives et néfastes. On suit la petite troupe interpellé le préfet pour mettre fin à l’utilisation en plein air illégal d’un pesticide par un gros exploitant forestier, ou encore ouvrir une antenne de solidarité avec la Palestine (BDS), manifester contre la loi travail, etc. Et contre toute attente, ces petits combats sont souvent couronnés de succès. Un brin animée par une motivation soixante-huitarde, il n’hésite pas pour autant à doubler la bourgeoisie locale sur son propre terrain en se présentant aux élections municipales.
On peut voir derrière les déboires de la bande de la Cigale, la terrible incapacité de notre démocratie a accepté la citoyenneté comme lieux principal de son expression la plus simple, la plus essentielle, la plus importante. Que sont-ils d’autres, Tintin, Pierrot, le Suisse, le Boucher et les autres que l’expression d’une urgence démocratique qui redonne au peuple le pouvoir décisionnaire ? Que font-ils de plus que de court-circuiter les cercles peu vertueux des notables, décidant en huit-clos des destins d’un peuple qu’il ne côtoie même pas ? Incapable de saisir ce qui se joue là, cette révolte festive (il faut revoir Jimmy’s Hall de Ken Loach sur ce sujet) qui fait des émules, inquiet de protéger leur platebande, les pouvoirs publics, devenus bras armés du Capital, ne peuvent plus que sévir. Et pour cela, il y a toujours des idiots utiles. En l’occurrence, ce sont ici les forces de police, instrumentalisées, caricaturales par elle-même, faisant preuve d’une bêtise déconcertante. Ainsi, lors d’une perquisition, une gendarme semble avoir trouver le coupable idéal, le boucher possède une partition de L’internationale… Un rouge, un communiste, le voilà le coupable ! Raconter de la bouche du principal protagoniste, ce morceau d’anthologie ne manque pas de saveurs.
Traitant du fond autant que de la forme, proposant de multiples axes d’engagement et d’organisation, petit catalogue des moyens d’actions, La cigale, le corbeau et les poulets est traversé par des problématiques profondes et inquiétantes sans jamais se départir d’une ambiance positive, sans jamais laisser planer l’ombre d’un doute sur la victoire prochaine de la République Sociale sur l’oligarchie financière. Il souffle sur Saint-Pons-de-Thomières comme un vent de Commune et l’espace d’un instant, on se rêve avec eux en nouveaux Jules Vallès, Eugène Varlin ou Louise Michèle, reprenant le contrôle de nos destinées. A l’heure où l’on nous vend à bas prix du « dialogue social », La cigale, le corbeau et les poulets nous rappelle qu’avant toute chose, c’est la lutte qui est le seul dialogue que comprenne vraiment les possédants.
Boeringer Rémy
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