Les agressions sanglantes et meurtrières perpétrées par les « microbes » se font de plus en plus récurrentes en Côte d’Ivoire. L’agression fatale d’un policier à Yopougon le 31/08/2017, par les « microbes », officiellement appelés « enfants en conflit avec la loi », a mis toute la cité en alerte. Depuis lors, la ville d’Abidjan est soumise à une série d’interventions des forces de l’ordre dénommées « opérations épervier ». Interventions à l’issue desquelles, plusieurs « microbes » sont appréhendés. Pourtant, le 28 septembre dernier, à Adjamé, contre toute attente, une série de nouvelles agressions de ces jeunes délinquants a été enregistrée en pleine journée. Ce problème de « microbes » est-ce un pur phénomène criminel ou le symptôme d’une société ivoirienne en crise ?
« Résidus » de la crise post-électorale
La crise post-électorale de 2010 a eu plusieurs répercussions sur la société ivoirienne. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), mandatée pour « recoudre » le tissu social, a révélé une société ivoirienne post-crise loin d’un climat complètement apaisé. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les phénomènes de troubles sociétaux à l’instar de celui des « microbes ». Ce phénomène est apparu, certes après la crise post-électorale, néanmoins, ce phénomène est le résultat de l’instrumentalisation des mineurs au cœur de cette crise qui les a engagés dans un apprentissage de la violence. En effet, plusieurs enfants ont pris une part active dans la crise de 2010 à 2011 en suivant des combattants, leur prêtant aide en tenant des sacs de munitions ou même des armes. Après ces événements faisant d’eux des acteurs aussi bien que leurs mentors (chefs de guerre), nul doute qu’ils ont goûté à la barbarie et à la violence. Par conséquent, la majorité de ces enfants sont devenus des délinquants n’ayant autre modèle que la violence qui les a bercés, expression de l’influence psycho-sociale d’une société toujours en crise. D’ailleurs, à la « prétendue » sortie de crise post-électorale, aucune commission de prise en charge psycho-sociale n’a été mise en place pour résorber tant soit peu les traumatismes subis par ces jeunes.
Violence sur lit de pauvreté et de chômage
Le phénomène des « microbes » n’a émergé que de quartiers pauvres, à l’instar de la commune d’Abobo qui en dénombre plusieurs. Cette commune a abrité de nombreux combats entre forces régulières et celles qui ne le sont pas. L’on ne saurait oublier, en Côte d’Ivoire, le fameux "commando invisible" qui a fait de cette commune son fief. Cette commune est depuis belle lurette un fief de gangs dangereux qui ont trouvé dans la pègre un moyen de s’affirmer en essayant d’échapper à leur marginalisation sociale. Sans conteste, la plupart des gangsters qui vivent dans cette commune ont tous un point commun : la pauvreté de leur famille. À Abobo, il est courant de voir des jeunes qui ont interrompu, faute de moyens financiers, leurs cursus scolaires pour "traîner" dans les gares routières et les rues, sans perspectives d’avenir. Toutes les communes qui voient cette délinquance juvénile prendre de l’ampleur regorgent de familles pauvres et de chômeurs. Ainsi, le taux de chômage des jeunes selon l’Organisation internationale du travail (OIT) s’estime à près de 9,4% en 2017. Le taux de pauvreté au niveau national est de 46% malgré une croissance de 8% en moyenne ces dernières années. La responsabilité de l’État dans le chômage et la pauvreté est bien établie en raison de ses politiques économiques non inclusives.
Les gangs remplacent des familles démissionnaires
Là où les familles sont taraudées par la pauvreté et le chômage, il n’y a presque pas de perspectives et de modèles à suivre par les jeunes. Ceux-ci sont sans repères, puisque leurs familles ne peuvent le leur offrir. La famille n’est-elle pas le premier lieu éducatif de l’enfant ? Il est déconcertant de voir des familles où les enfants passent plus de temps dans la rue qu’avec leurs parents, sans que ceux-ci ne s’en soucient. L’exemple des familles polygames est encore plus critique, vu qu’elles peuvent se retrouver avec près d’une vingtaine d’enfants dont il faut assurer l’éducation. Comme corollaire, ces enfants sont à la merci des ex-combattants rebelles, de chefs de gangs ou des détenteurs de fumoirs de drogue qui les utilisent pour acquérir de l’argent, en restant dans l’ombre, par et dans la violence, leur garantissant protection et secours au besoin. D’une manière ou d’une autre, le phénomène des « microbes » découle manifestement de la démission des familles.
Des victimes/bourreaux
La méthode répressive ne peut réussir à éradiquer ce phénomène de « microbes », car à n’en point douter, ce phénomène est la conséquence d’une société ivoirienne en crise. En ce sens, il faudrait le juguler par une approche plus globale. De prime abord, il faudrait accorder un soutien financier ciblé et décent aux familles pauvres. Car, même si la Banque mondiale s’est donnée pour tâche d’allouer à 35000 ménages 36000 francs CFA par trimestre, avec une participation de l’État ivoirien à 10% des 25 milliards de francs CFA budgétisés, il faut reconnaître que cela reste insignifiant. Ensuite, il importe de revoir le modèle de développement, afin que la croissance économique soit pourvoyeuse d’emplois et plus soit inclusive. De plus, il faudrait inciter à l’entrepreneuriat, non par des slogans ou la distribution de quelques crédits, mais en améliorant la qualité de l’environnement des affaires pour qu’il soit plus favorable à l’initiative privée. La promotion de l’entrepreneuriat va de pair avec création de richesse et emplois, ce qui permettra de sauver ces jeunes de la délinquance et du crime. Enfin, il faudrait soutenir la société civile, en vue de multiplier les actions de sensibilisation, de rééducation et de réinsertion de ces jeunes. C’est en actionnant tous les leviers que ce phénomène peut être éradiqué. Rappelons la citation de Carl Jung, « Un homme sain ne torture pas ses semblables, il n’y a que les victimes qui deviennent les bourreaux ».
AGBAVON Tiasvi Yao Raoul, étudiant-chercheur en Philosophie, Université Alassane Ouattara. Le 09 octobre 2017.