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En amour comme à la guerre

Publié le 09 octobre 2017 par Les Lettres Françaises

En amour comme à la guerre« Je considère que le sida a été comme une guerre », a dit Didier Lestrade1 , l’un des fondateurs d’Act Up-Paris. Et l’on peut, sans craindre l’hyperbole martiale, trouver à 120 battements par minute, le film de Robin Campillo consacré à Act Up, quelques traits d’un film de guerre : l’urgence, la contraction du temps lorsque part l’assaut, l’héroïsme de l’individu sacrifié à une cause supérieure ; et puis, aussi, tous ces morts.

C’est une guerre aux effets différés, bien sûr, livrée à un ennemi qui se ne conçoit pas comme tel ; une guerre déclarée à l’inaction des pouvoirs publics, au cynisme des laboratoires, à l’homophobie, au racisme, à l’indifférence de l’opinion. Dans ce combat, les troupes d’Act Up figurent l’avant-garde. Par son réalisme nerveux, le film donne sa juste mesure à leur activisme radical : une question de vie ou de mort, résumée par les slogans lapidaires qui ornent les t-shirts noirs frappés du triangle rose : « Silence = Mort », et son corollaire : « Action = Vie ».

L’action et la théorie

Ici, contrairement à l’organisation hiérarchique d’une armée où la troupe subit les caprices stratégiques d’un commandement séparé, les décisions sont prises démocratiquement, en assemblée. Robin Campillo sait trouver les dispositifs narratifs pour rendre visibles l’articulation du débat et de l’action. Ainsi, dès la première scène, le spectateur aperçoit des militants tapis dans la coulisse d’une conférence médicale qu’ils sont venus perturber. Soudain, c’est le signal de leur entrée en scène. Mais le réalisateur coupe aussitôt. Nous voici dans un amphithéâtre où un vétéran d’Act Up enseigne à de nouvelles recrues, en quelques mots, les principes de l’association. La réunion qui suit permet aux militants de revenir sur l’action menée plus tôt. C’est le temps de la réflexion, de l’autocritique. Et le spectateur de voir enfin ce qui s’est passé, mais découpé, et analysé par les participants : le « zap », une poche de faux sang lancée (trop tôt ?) sur un chercheur pusillanime, une paire de menottes pour l’attacher (doit-on recourir à ces accessoires policiers ?)… Ingénieuse exposition qui nous offre une séquence d’action et son commentaire dans le même temps.

La révolte des réprouvés

Au milieu de son film, Robin Campillo abandonne volontairement ce rythme effréné. La révolte des réprouvés a une vertu rédemptrice dont il serait confortable de se contenter. Le réalisateur et son coscénariste, Philippe Mangeot, veulent nous forcer à voir ce qu’il advient des victimes qui se laissent glisser vers l’arrière. Puisque la guerre contre le sida se joue en même temps à l’intérieur de chaque corps, le film raconte aussi l’agonie d’un homme qui sent ses défenses immunitaires s’effriter sous les assauts inlassables du virus, le décompte inexorable des derniers lymphocytes figurant les rangs décimés d’une armée qui se bat sans espoir de gagner. Cet homme qui meurt venait de trouver l’amour. Campillo filme cette lente déchirure sans un mot ni un plan inutile. Et comme la tragédie individuelle ne saurait interrompre le combat collectif, les funérailles, transformées en protestation éclatante (les cendres répandues sur les petits fours des assureurs bien nourris), deviennent la consolation du survivant.

Il reste à espérer qu’au-delà de son succès, ce film foisonnant, poignant, admirablement interprété, ne fasse pas qu’œuvre de mémoire (c’est déjà beaucoup). Puisse-t-il décider enfin la mairie de Paris à ouvrir ce centre d’archives LGBT dont la ville d’Europe la plus touchée par le sida aurait dû se doter il y a longtemps.

Sébastien Banse

1. Son mémoire, Act Up : une histoire, vient d’être réédité chez Denoël (528 p., 14,99€)

120 battements par minute, un film de Robin Campillo, France, 140 minutes.


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