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Par Julien Leray @Hallu_Cine

En matière de créations baroques, à la démesure et à la folie sciemment contrôlées, celles d’Alejandro Jodorowsky font autorité. La poésie la dispute alors à l’expérimental, parfois obscur, toujours très sûr. De son art, de sa vision. La force d’un égo surdimensionné, aussi et surtout celle d’un créateur qui n’a pas peur de transgresser.

Sans les comparer au monument mexicain (le temps devra bien sûr faire son œuvre, tout comme les deux cinéastes devront encore faire leurs preuves), Hélène Cattet et Bruno Forzani viennent avec Laissez bronzer les cadavres au moins se frotter à la même recherche d’excellence, celle de la conjugaison au plus que parfait du classique et des genres.

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Le plus explicite d’entre eux, le western, devient ici un cadre à dynamiter, tout en étant dans le même temps le pilier inaliénable d’une structure solidement ancrée. La fureur et la fantaisie ont beau faire partie intégrante de l’ambiance posée par les deux réalisateurs, ils tirent leur force d’une approche avant tout rigoriste des motifs et des effets.

Plans serrés, champs contre champs à même des regards strictement cadrés, village désertique balayé par le sable et les vents filmé en contre-plongée : les personnages sont pris au piège d’un lieu au sein duquel nous-mêmes en venons à suffoquer.

L’assise formelle et la narration volontairement linéaire, sans faux-fuyants ni originalité particuliers, servent alors d’autant mieux les excentricités et les déconstructions opérées par le duo qu’elles forment un socle suffisamment stable pour ne jamais pas perdre de vue les enjeux s’enchaînant à rythme soutenu à l’écran.

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Un moyen également pour Hélène Cattet et Bruno Forzani d’insuffler à un récit aux sombres sous-entendus une dose de dérision bienvenue, en se jouant dans ce cas du cadre directement lié au roman (le fait de préciser à l’écran, et ce pour chaque séquence, l’heure exacte des événements) pour en faire lui-même un moteur à la fois comique (le fait de voir surgir l’heure de l’action de manière inopinée, parfois à contretemps) et stylistique, provoquant un effet d’uppercut en plein cœur de l’action, riche en impacts et en violence.

Graphique, frontale, au sound design si bien travaillé qu’elle en fait vraiment mal, cette violence (code là aussi indissociable du western spaghetti ou peckinpien), sans être esthétisée à outrance, devient pour Cattet et Forzani un vecteur de propositions plastiques, propres à une explosion des formes et des couleurs.

Les textures et les fluides, eux, se fondent et se confondent. La peinture rouge granuleuse laisse place à un sang coulant chargé en chairs et en cheveux, l’urine d’Elina Löwensohn devient, elle, une peinture corporelle de poussières d’or coagulées.

Dans Laissez bronzer les cadavres, le film de casse vient entrer en collision avec le giallo érotique, le western avec le film d’épouvante aux relents mystiques.

Ce village isolé, ce lieu de villégiature inquiétant mais privilégié sur les hauteurs de la Méditerranée, théâtre de l’affrontement sans pitié entre une bande de malfrats et deux flics à leur poursuite, se révélera ainsi bien vite être également le terrain de jeu d’une âme damnée hantant les lieux, entraînant ces pauvres ères dans un trip hallucinatoire où ils deviendront des fourmis cherchant à fuir le chaos de la colonie.

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De véritables gueules transperçant littéralement l’écran, de leur présence, de leur assurance, dont le charisme reptilien ne pèsera pourtant pas bien lourd face à la résilience et le sens de survie féminin.

Sous ses atours de western sous acide, Laissez bronzer les cadavres se double donc sans crier gare d’un vrai discours féministe, où le genre ne se joue plus seulement dans la forme et dans ses codes, mais s’assume enfin aussi sur le fond.

D’un capharnaüm potentiel, Hélène Cattet et Bruno Forzani ont donc su tirer au contraire une œuvre d’une cohérence rare, où chaque parti-pris de prime abord décalé, chaque délire prenant toute idée de classicisme à contre-pied, s’est en fait avéré soigneusement pensé. Pour que le tout fasse sens et surtout, en dépit de sa densité, reste sensé.

Une prise de risques à tous points de vue qui, au vu du résultat proposé, a magnifiquement payé. Avec Laissez bronzer les cadavres, Jodorowsky a peut-être enfin trouvé à qui parler.

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Film vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2017.


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