Les Monuments Baladeurs
Cette série des Monuments Baladeurs commence par La Croix du Jard. L'article a été écrit par Olivier Rigaud et est paru dans le bulletin d'Amicarte51 n° 16 de 1993.Olivier nous a quitté en 2013, en savoir plus sur lui :
A Reims comme dans d'autres villes, mais peut-être encore plus dans la ville des sacres, les monuments bougent ! La guerre de 1914 a contribué à ce mouvement, mais dès avant celle-ci, la danse de Saint Guy avait déjà affecté un certain nombre de façades ou de statues. Dans le dernier numéro du bulletin, nous avons vu comment le monument qui se trouve aujourd'hui à Sillery avait d'abord " visité " l'expo des Arts Déco à Paris où se trouvait d'ailleurs en même temps la porte de la bibliothèque municipale. C'est là je pense le voyage maximum effectué par un monument rémois. Dans le numéro 12 du même bulletin, j'avais évoqué le " voyage annulé " qui avait été envisagé en 1905 pour la maison des musiciens qui telle le château écossais de " Fantôme à vendre " de René Clair voulait traverser l'océan Atlantique. La statue de Jeanne d'Arc de Paul Dubois, également illustrée dans le dernier numéro, limita plus modestement sa chevauchée au seul parvis de la cathédrale. Nous pourrons nous intéresser plus tard à la statue de Drouet d'Erlon, à la fontaine des Boucheries, au Poilu du 132°, aux façades du XVII1° siècle du Palais de Justice ou de l'hôpital Saint Marcoul et à un tas d'autres objets inanimés qui décidèrent un beau jour d'aller se faire voir ailleurs.
La carte postale permet souvent de suivre les pérégrinations de ces étranges voyageurs, soit par la photographie pour leurs avatars du XX° siècle, soit par la reproduction de gravures anciennes pour des épisodes plus anciens. Pour ce premier article nous évoquerons la croix située aujourd'hui sur le 17 rue du Jard.
La première vue de ce crucifix que nous connaissions en carte postale est celle que nous donne Macquart dans son album des remparts de Reims dessinés avant leur démolition dont quelques vues furent publiées par la Société des Amis du Vieux Reims. La carte N° 168 de cette collection nous le montre à son emplacement initial sur le rempart au bout de la rue du Jard. Le calvaire représenté sur la carte est-il celui béni par le prieur-curé de Saint Denis à 5h du soir le 31 Juillet 1757 ? Cela n'est pas si sûr. L'initiateur de cette installation qui s'est faite en souvenir d'une neuvaine à Saint Remi pour le rétablissement du roi Louis XV est le jardinier Gannelon. Pendant la révolution la croix est déracinée pour éviter le vandalisme et mise à l'abri par un autre jardinier, Liénard Cerlet. En 1797, elle regagne son poste. Elle semble avoir été refaite à neuf et remise en place le 3 Octobre 1802. La création du canal entraîne la démolition du rempart et le premier transfert de la croix qui remonte la rue pour être installée sur l'école des frères (actuelle école maternelle) le 27 Juin 1842.
En Novembre 1872, la décision est prise de refaire le crucifix qui érigé en Juin 1873 est 13 béni en grande pompe (au sens originel du terme, c'est à dire en grande procession, cf la Pompelle) par l'archevêque Mgr Landriot le 14 Septembre de la même année. Tout le quartier est là pour la manifestation : " Chers habitants du Jard, je confie l'avenir de ce calvaire à votre zèle et à votre sollicitude. Faites lui une garde d'honneur et de respect, garde toute pacifique et fraternelle " indique Monseigneur dans son prône. Six ans plus tard, la municipalité décide la laïcisation des écoles des frères et dès 1880 des maîtres laïcs viennent remplacer ceux-ci. En 1879 le Maire interdit les processions en ville. Le phénomène qui aboutira à la loi de 1901 sur les associations, à la séparation de l'église et de l'état, et aux inventaires de 1906 dont Christian Eckstein vous a précédemment évoqué dans ces pages les épisodes rémois est enclenché.
Le 27 Mai 1900, le nouveau maire Charles Arnould fait une déclaration sur la laïcisation des services publics en conseil municipal et décide le 7 Juin de faire procéder à l'enlèvement de la croix sur l'école du Jard. Des employés municipaux entament donc la dépose, la foule s'interpose, le commissaire intervient, procède à quelques interpellations. La croix qui devait être transférée dans un dépôt de la voirie est finalement déposée dans la cour de la banque Bouvier- Grandremy, 99 rue Chanzy, où la foule se
presse bientôt pour la voir. Selon le bulletin du diocèse, 6000 personnes défilent ainsi le jeudi 7, 10000 le vendredi 8 dont Mgr Langénieux, le cardinal archevêque, qui n'avait pu venir la veille étant alors en tournée de confirmation dans les Ardennes. A partir du samedi 9, les propriétaires des lieux limites les visites. Trois conseillers municipaux se désolidarisent du maire, un quatrième, Augustin Lo, l'interpelle en séance du conseil le 17 Juin. L'affaire prend un poids national, les cousins parisiens du maire parmi lesquels on trouve un polytechnicien, un professeur de faculté, un ecclésiastique protestent contre l'action de leur parent. En septembre, une ouvreuse du Théâtre, Mlle Léona Corneille, est congédiée pour avoir exprimé devant le directeur d'un journal de la ville ses regrets de la disparition de la croix du Jard. Une souscription ouverte pour remonter le calvaire en terrain ami permet de recueillir 4000 F dès la fin juillet. Le 30 Octobre une vingtaine de personnes vient chercher la croix restaurée et repeinte et l'apportent à son nouvel emplacement sur la maison du Bon Pasteur au 17 de la rue du Jard où elle se trouve encore aujourd'hui après avoir échappé aux dégradations de la guerre de 1914-18. Si la croix a fait l'objet d'au moins deux cartes postales à son emplacement actuel et a été photographiée lors de son séjour à la banque Bouvier, je n'en connais pas de cartes ou de photos avant le 7 juin 1900. Et vous ?Olivier RIGAUD
Voir l' Ancien remparts et portes de Reims / album composé & dessiné par J-J Maquart et offert par sa veuve à la ville de Reims