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Par Julien Leray @Hallu_Cine

C’est sans aucun doute son obsession du moment. Après Two Lovers and a Bear, où l’amour entre deux jeunes gens était soumis à l’épreuve d’une contrée hostile et des éléments, Kim Nguyen s’attaque à nouveau, avec Eye On Juliet, à l’irrationnel et à l’inexplicable des sentiments, leurs origines et leurs fondements.

Ou, comment d’une relation platonique à sens unique  entre deux êtres que tout oppose, peut naître (puis survivre) un amour sincère, face aux différences culturelles, géographiques, et sociales ?

Pour tenter de répondre à cette question, le réalisateur de Rebelle va d’emblée diviser sa narration, en construisant deux histoires parallèles sur deux continents différents (l’une se déroulant à Détroit aux USA, l’autre dans une région pétrolifère du Maroc), deux temporalités appelées à s’entrechoquer et converger, grâce à une utilisation astucieuse de nouvelles technologies que Kim Nguyen va se plaire à détourner.

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Gordon, employé de nuit d’une société de surveillance fraîchement séparé, va ainsi, au cours d’une opération de routine consistant à veiller à distance sur l’intégrité des pipelines marocains, tomber sous le charme d’Ayusha, jeune femme cherchant désespérément à fuir avec l’homme dont elle est épris un mariage forcé auquel ses parents l’ont condamnée.

Un travail de surveillance effectué grâce à de petits hexapodes tout-terrain, à la démarche gauche et mal assurée, donnant d’ailleurs lieu à quelques séquences particulièrement savoureuses (en fait les plus accomplies du film), notamment lorsque Gordon et son superviseur discutent sexualité par robots interposés (et dont les moteurs commencent sérieusement à chauffer), ou lorsque, toujours par l’intermédiaire d’un hexapode, le même Gordon échange avec un vieil aveugle croyant que le jeune homme est non seulement marocain (là où ce dernier est en fait l’archétype de l’américain n’étant jamais parti de chez lui), mais qu’il se trouve alors aussi à côté de lui.

Dans ces moments de pure comédie, on retrouve toute la maitrise et la sensibilité de Kim Nguyen, le plaisir communicateur qu’il a eu à filmer ses personnages, pour lesquels il éprouve par ailleurs une sincère empathie.

Jouant habilement sur les ruptures de tons, le metteur en scène québécois va faire de ces hexapodes le véritable liant visuel et narratif entre les deux continents, l’autorisant à flirter allègrement avec une crédibilité d’ensemble très mesurée, sans tomber pour autant dans la facilité.

L’occasion également pour ce dernier de se faire plaisir, en nous offrant quelques panoramas et paysages marocains à l’avenant, démontrant une nouvelle fois (si besoin était) tout son savoir-faire esthétique.

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Pourtant, on sent malheureusement bien vite que la mécanique que l’on pensait parfaitement huilée va finir par se gripper. La faute à un postulat de départ à la fois artificiellement complexe (une histoire d’amour donc, sous couvert de traitement de la question des migrants, de la dynamique Nord-Sud, de l’exploitation américaine de ressources étrangères) et paradoxalement trop léger, la faute également (et surtout) à une écriture, une fois n’est pas coutume le concernant, mal assurée et définitivement trop relâchée.

À la manière de Hong Sang-soo avec La Caméra de Claire, le cynisme en moins, la candeur en plus, Kim Nguyen se trompe en prenant pour acquis que le vrai, l’émotion brute, naîtront simplement de la familiarité (parfois tragique) des situations. Une rupture, un décès, une injustice ne sont intrinsèquement pas suffisants pour émouvoir et toucher. À plus forte raison lorsque le sujet a déjà été maintes fois abordé.

Plutôt que de faire confiance à son histoire et son propos, en faisant preuve de retenue et d’une certaine épure, Nguyen va au contraire s’enliser dans des dialogues interminables sur l’importance de l’amour, son pouvoir de résilience, sa primauté dans l’union des cultures et des peuples. Un besoin de tout (sur)expliquer qui traduit trop souvent un manque d’assurance ayant inévitablement besoin d’être comblé.

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À ce moment-là, la qualité des dialogues, la rythmique du film, l’interprétation des acteurs n’en revêtent que plus d’importance, et pèsent encore plus lourd dans la balance.

Or, si Joe Cole s’en sort honorablement en portant quasiment à lui-seul le film sur ses épaules, Lina El Arabi éprouve, elle, les plus grandes difficultés à se mettre au niveau. Rarement crédible lors des moments les plus cruciaux, la passivité de son jeu ne manquera pas d’interroger au regard des prodiges de direction d’acteurs qu’est capable d’accomplir Kim Nguyen (en particulier sur Rebelle).

Un gouffre séparant les deux interprètes qui traduit finalement la dualité qualitative permanente d’Eye On Juliet. Visuellement soigné, d’un point de vue narratif peu inspiré. Attendrissant, aussi vite irritant. Voulu ambitieux, tout aussi fastidieux. Incisif, finalement inoffensif.

Si la dernière proposition de Kim Nguyen s’avère suffisamment solide pour se suivre malgré tout sans déplaisir, difficile d’y voir autre chose qu’une récréation, une parenthèse tout au plus sympathique à défaut d’être enlevante. Et qui, eu égard au talent de son auteur, ne manquera donc pas de rester insuffisante.

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Film vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2017.


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