La Côte d’Ivoire est de ces pays – à l’instar de l’Inde ou du Kenya – dont on parle peu, tout du moins dans une perspective humanitaire, car ils ne sont pas dans un contexte de crise majeure. Si la situation de la Côte d’Ivoire n’est pas critique, elle n’en reste pas moins ambivalente et complexe. C’est un pays encourageant, en voie de développement, et qui s’est même donné l’ambition de devenir, à l’horizon 2020, un pays émergeant.
Les dernières élections se sont déroulées dans le calme, gage d’une certaine stabilité politique, et le pays est relativement épargné par les conflits internes ou externes, ce qui démontre une cohésion sociale. L’instabilité alentours, de plus en plus régionalisée, reste néanmoins une menace stagnante. Surtout, et c’est le propre de tout pays émergeant, les inégalités sociales se creusent – 46% de pauvreté enregistrée – et les populations rurales, de plus en plus délaissées, perdent leurs moyens d’existence et s’enfoncent dans une précarité inquiétante. Dans certaines régions, voire dans certains quartiers d’une même ville, les ressources manquent et les infrastructures sanitaires sont vétustes. En effet, et c’est préoccupant pour un pays ayant de telles aspirations, la Côte d’Ivoire possède le plus grand taux de mortalité maternelle d’Afrique de l’Ouest, 31 % de la population manque d’eau potable alors que 30 % est sous-nutrie.
Ainsi, loin des idées reçues de l’aide humanitaire et de l’intervention d’urgence, notre activité se doit d’être ajustée à la situation qui est celle de la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Il ne s’agit plus de distribuer mais d’amorcer une phase de consolidation et de développement. En impliquant les institutions et les communautés locales, nous poussons à ce que les solutions proviennent de l’intérieur. La finalité étant, pour ces populations concernées par l’aide humanitaire, un retour à l’autosuffisance totale.
Les activités mises en place par nos équipes se sont d’abord concentrées sur l’accès à l’eau et à l’assainissement auprès de 23 000 ménages. Des points d’eau ont été réhabilités ou établis au plus proche des villages et la population, pour qui les factures d’eau étaient intenables, a été sensibilisée à sa bonne consommation. De même, afin d’éviter toute maladie diarrhéique, des sensibilisations à l’hygiène et à l’utilisation d’une eau saine ont été dispensées.
Pour endiguer le taux inquiétant de mortalité maternelle, et consciente que la grossesse ne concerne pas seulement les femmes, notre équipe locale a organisé des temps de « causerie » à l’initiative des hommes pour les hommes. Lors de ces moments informels, nous avons ainsi pu sensibiliser les futurs pères, les plus jeunes notamment, aux bons réflexes dans l’accompagnement de la grossesse.
Le défi majeur de l’équipe, notamment pour une amélioration significative du niveau de vie, a été d’inciter les populations, souvent éloignées et parfois sceptiques, à fréquenter les centres de santé. Pour réduire la distance, parfois dissuasive, qui sépare les villages des centres, nous nous sommes rapprochés au maximum des populations dans le besoin. Surtout, pour donner aux populations la notion de santé et de son importance, les équipes ont créé un lien de confiance entre le personnel médical et les bénéficiaires. Depuis, le centre de santé a accueilli plus de 15 % de personnes supplémentaire et a procédé à 20 % d’accouchements en plus.
Dans une situation compliquée, où l’urgence est passée mais où des difficultés structurelles persistent, notre priorité n’est pas de se substituer aux différentes infrastructures mais de les renforcer, afin que les solutions émergent des populations directement concernées. Il s’agit là de dépasser les pratiques traditionnelles, et pour beaucoup désuètes, de l’aide humanitaire tout en se détachant du clivage Nord-Sud qui l’accompagne.
Photographies © Sebastien Dujindam pour Action contre la Faim.