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❛ nouvelles vagues ❜

Par Villefluctuante

Que penser du débat actuel sur la modification de la loi littoral ?

Après les " 40 mesures pour l'adaptation des territoires littoraux au changement climatique et à la gestion du trait de côte " formulées en octobre 2015 par le comité de suivi de la stratégie nationale pour la mer et le littoral, les parlementaires finalise actuellement une proposition de loi portant adaptation des territoires littoraux au changement climatique.

Elle porte des valeurs importantes comme la reconnaissance juridique du recul du trait de côte dans le Code de l'environnement et la reconnaissance des stratégies nationales, régionales, locales et de leur articulation avec les plans de prévention des risques naturels et les documents d'urbanisme. De plus, elle propose trois nouveaux outils : une zone d'activité résiliente et temporaire (Zart) pour maintenir l'activité et l'adapter au risque érosion ; une zone de mobilité du trait de côte pour protéger les écosystèmes et réguler les ouvrages de défense contre la mer et enfin un bail réel immobilier littoral (BRILi) qui prévoit la jouissance temporaire. Ce dernier point ouvre - timidement - la voie vers une occupation temporaire du littoral. On aurait aimé y voir la définition d'un domaine public littoral, à l'instar du domaine public maritime qui aurait défini la bande des cent mètres comme bien commun de la nation.

❛ nouvelles vagues ❜

" L'hiver ", Nicolas Poussin (1664)

Cela va-t-il stimuler les constructions en dehors des zones urbanisées ?

Un amendement a demandé d'assouplir les autorisations de construction en dehors des zones agglomérées par la modification de la loi littoral. Beaucoup se sont élevés contre un éventrement de loi littoral, jusque-là sanctuarisée, avec l'ouverture à l'urbanisation possible des hameaux. Il faut rappeler que les critères de définition des agglomérations, villages, hameaux existants comprenant un grand nombre et une densité de constructions significatifs et hameaux nouveaux intégrés à l'environnement sont complexes aujourd'hui, sujets à l'éclairage de multiples jurisprudences.

Cette ouverture législative démontre surtout une vitrification de la loi littoral. Un rapport d'inspection du CGEDD (2012) a montré que cette loi souple, nécessitant une appréciation au cas par cas, s'est peu à peu durcie sous la conjonction de deux facteurs : sa faible lisibilité et le poids du contentieux. Pourtant il est crucial de rappeler que l'esprit de la loi littoral est tout autre. Elle mobilise une appréciation des éléments de contexte et de connaissance avec une grande liberté de négociation entre les services de l'État et les collectivités territoriales : " Il s'agit en effet d'une loi interprétative, aux dispositions nécessairement vagues, afin de pouvoir s'adapter à la grande diversité des littoraux. Cette loi a dès le départ prévu sa territorialisation, afin de préciser les principaux concepts à l'échelle locale " (examen du rapport d'information du Sénat, 2013).

L'urbanisation du littoral reste donc une question de projet plus que de règle.

Où construire à l'avenir puisque la population ne cesse d'augmenter sur le littoral et qu'il faudra de surcroît relocaliser les bâtiments menacés du front de mer ?

L'exemple des Pays-Bas montre une forte anticipation par les autorités avec le nouveau plan Delta pour la période 2015/2100. Il part d'un scénario défavorable de 4 mètres sur 200 ans. Il faut rappeler que ce pays est fortement soumis au risque de submersion marine dans la mesure où 2/3 des terres, comprenant 60 % de la population, se trouvent en dessous du niveau de la mer. Le nouveau " plan Delta " recommande un renforcement des digues et un " raccourcissement " du littoral de 700 kilomètres. Pour cela il est prévu de renforcer les digues, d'élargir la zone du rivage non-constructible, de racheter des zones actuellement habitées afin de les transformer en réservoir d'eau, de creuser de nouveaux bras de rivières, ou encore de supprimer des polders. Cet exemple européen démontre s'il le fallait qu'il soit possible d'envisager un avenir ambitieux en matière d'adaptation au changement climatique de vastes territoires littoraux.

La question n'est pas savoir s'il est possible de se reculer de quelques dizaines de mètres. Il nous revient la responsabilité historique d'entreprendre une recomposition spatiale de plus grande ampleur. Cela a été fait dans un passé récent, pour d'autre raison, comme le montre l'exemple vertueux de la MIACA. De 1967 à 1988, la Mission interministérielle pour l'aménagement de la côte aquitaine fut chargée de définir l'aménagement touristique du littoral aquitain. Les actions menées lors de ces deux décennies ont largement profilé le littoral aquitain dans sa configuration actuelle en privilégiant une intégration paysagère et surtout une urbanisation perpendiculaire au littoral.

Le littoral fait l'objet depuis deux siècles d'intenses politiques publiques. L'ambition de stabilisation de la côte par endroits nécessita des travaux maritimes importants dès le XIXe siècle (comme ceux de la pointe de Grave pour limiter l'évasement de l'estuaire de la Gironde). L'attention au littoral se concentrait alors exclusivement sur le rivage. Au XXe siècle, l'aménagement du littoral dans sa partie terrestre a connu une succession de politiques publiques avec le développement des villes balnéaires et plus tard du tourisme de masse. Au-delà de la valorisation du front de mer, certaines interventions publiques ont eu une vision élargie telle la MIACA chargée de la définition d'un programme général d'aménagement. La DATAR estimait déjà que " L'aménagement en profondeur consiste à réserver l'occupation directe du littoral aux activités strictement liées à la mer et à reculer vers l'intérieur celles qui n'ont pas nécessairement besoin d'être sur le rivage " (rapport annuel, DATAR, 1974). Cette préconisation n'a eu que peu d'écho...

La question n'est donc pas celle de la densification littorale mais celle d'un redéploiement spatial. La densification des zones déjà construites (et non menacées) n'est pas une solution car d'une part les programmes actuels de renforcement des protections côtières seront certainement dépassés avec l'élévation du niveau de la mer. De plus, cela revient à créer un nouveau mur de l'Atlantique qui modifie considérablement les paysages. De plus, il faut faire attention aux effets cumulatifs du changement climatique et en particulier de la diminution en quantité et en qualité de la ressource en eau et les conflits d'usage qui en découlent déjà. La salinisation des aquifères côtiers va remettre en avant la notion de capacité d'accueil de la loi littoral.

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Vu à l'exposition " Tous à la plage ", Cité de l'architecture, Paris.

Quelles techniques de construction utiliser en zone littorale ?

Il faut impérativement refuser toute intervention de compensation comme les maisons ou villages flottants qui ne retirent pas la vulnérabilité. En fait, il n'y a pas de solution architecturale, mais uniquement des solutions paysagères et urbaines.

Pensons tout d'abord le trait de côte comme une limite fluctuante qui a beaucoup bougé et qui évoluera encore avec l'élévation du niveau de la mer. Pensons maintenant le littoral comme une épaisseur vécue, plus ou moins profonde selon la perception culturelle de nos pratiques. Nous obtenons à la fois un système géographique mobile et un paysage culturel mouvant. Il faut accepter le retour de la nature et encourager les pratiques temporaires plus que l'occupation permanente du littoral.

Dans ce cadre, il existe un enjeu de médiation du paysage culturel. L'enjeu de la relation à ces paysages affectifs / affectés est de taille lorsque les prévisions démographiques projettent l'installation de plus de quatre millions d'habitants supplémentaires d'ici 2040 dans les départements littoraux métropolitains. Ajouté aux projections démographiques celles des impacts du changement climatique, nous comprenons vite que ces territoires vont devenir un enjeu majeur de vulnérabilité et qu'il sera fatalement nécessaire d'y remédier par des aménagements au risque de dégâts matériels et de perte en vies humaines considérables si rien n'était entrepris. Ces modifications spatiales vont modifier le paysage dans ses cinq dimensions (Besse, 2009) : comme représentation culturelle et sociale, comme territoire fabriqué et habité, comme environnement matériel et vivant, comme expérience phénoménologique et comme projet. C'est à l'articulation de ces dimensions que réside le rôle central du paysage comme médium des changements en cours et à venir.


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