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Alfred Hayes, scénariste et romancier

Publié le 14 octobre 2017 par Les Lettres Françaises

Alfred Hayes, scénariste et romancierDepuis que Faulkner et Fitzgerald, Hammett et Chandler, les plus emblématiques, ont été, romanciers célèbres, condamnés à travailler dans les « mines de sel » de Hollywood, la liste est interminable des écrivains ayant cédé aux sirènes du cinéma. Le cas d’Alfred Hayes (1911-1985) est plus atypique : né en Angleterre dans une famille juive, mais élevé à New York, auteur d’un recueil de poèmes, il servit en Europe durant la guerre, et resta à Rome où, coup d’essai-coup de maître, il écrivit l’un des six épisodes de Païsa de Rossellini. Ce n’est qu’en cette même année 1946 qu’il publia le premier de ses sept romans, All Thy Conquests. Il ne s’agit donc pas d’un génie littéraire impécunieux exploité par l’ « usine à rêves », mais d’un homme qui semble avoir mené de front une double carrière de romancier et de scénariste, sans que l’une ne nuise à l’autre.

Coursodon et Tavernier ne le citent pas dans leur Dictionnaire des réalisateurs et scénaristes du cinéma américain. Pourtant, son palmarès de scénariste est plus riche et plus conséquent que celui de Faulkner ou de Fitzgerald : deux Fritz Lang, et non des moindres (Clash by Night et Human Desire), un Nicholas Ray majeur (The Lusty Men), un excellent Richard Fleischer, These Thousand Hills, un Rossen intéressant (Une île au soleil), un Cukor tardif et très discutable (L’oiseau bleu) et, à un moindre niveau, plusieurs Zinnemann (dont Teresa, pour lequel il reçut l’Oscar de la meilleure histoire originale) et un John Huston. La part la plus intéressante de son oeuvre de scénariste date de l’après-guerre à la fin des années cinquante, et il semble qu’ensuite il ait été moins sollicité, par des metteurs en scène secondaires, ou pour des films voués à l’échec (le Cukor, poussive féerie, improbable co-production américano-soviétique, avec une Ava Garner et une Liz Taylor vieillissantes), et se soit consacré à des besognes moins reluisantes, pour des séries télévisées.

Sa carrière de romancier, assez discrète, voit cinq titres publiés entre 1946 et 1958, – à l’époque où il était très sollicité par Hollywood. Il faut attendre ensuite dix ans pour lire The End of Me (1968), qui nous arrive aujourd’hui en France, où on commence à le découvrir. Un seul roman suivra, en 1973, avant douze ans de silence.

A la lecture de ces chiffres, de ces dates, on est amené à lire dans C’en est fini de moi des échos autobiographiques. Il s’agit de l’histoire d’un scénariste moyennement célèbre, mais qui a gagné pas mal d’argent, avant d’en gagner moins. Au milieu de la débâcle de son deuxième mariage, quinquagénaire désabusé et fatigué, il effectue un pèlerinage dans le New York des années soixante, qui est à des années-lumière de celui qu’il a connu (et que Hayes a lui-même connu) dans son enfance. Il y a plus d’un point commun entre la narrateur du roman, Asher (on entend dans son prénom un goût de cendres) et Hayes lui-même.

C’est un roman assez poignant, un livre sur l’âge qui vient, l’âge des bilans, des constats d’échec, – et du désir de se donner une deuxième chance en se régénérant auprès de la jeunesse. C’est que fait Asher, qui lie connaissance avec Michael, le petit-fils de sa vieille tante juive Dora, et avec Aurora, sa rayonnante et fantasque petite amie.

Michael est l’auteur d’une plaquette de poèmes dans lesquels l’érotisme flirte avec la pornographie, et il se glorifie avec une aigreur agressive de sa vie de raté, de traîneur de bars de Greenwich Village. Il méprise l’argent, mais accepte cependant qu’Asher le rétribue pour l’accompagner dans ses déambulations fantomatiques sur les lieux du New-York d’autrefois.

Les pages dans lesquelles Hayes confronte le New-York des années soixante à celui de l’avant-guerre sont sans doute les plus réussies du livre, dans lesquelles on sent le désespoir d’un personnage à la dérive qui ne parvient pas ajuster les images en noir et blanc du New York de son enfance et le monde en couleur qui les a remplacées. Des bâtiments ont été démolis, de nouvelles artères ont été tracées. « Peut-être que pour Michael, qui marchait, mains dans les poches de son manteau, à mes côtés, cela s’apparentait à la visite non d’une ville, mais d’un entrepôt à l’abandon, un après-midi passé dans un immense garde-meubles, empli de tout et de rien, d’objets poussiéreux portant une étiquette et que personne, jamais, ne viendrait chercher ».

Quand il n’est pas dans la compagnie acrimonieuse de Michael, Asher est avec Aurora, séduit par son côté à la fois naïf, ingénu (mais l’est-elle vraiment ?) et provocateur. L’affection paternelle d’un quinquagénaire pour une jolie fille qui n’a pas vingt-cinq ans, le flirt bon enfant, font place peu à peu à un amour qui ne dit pas son nom.

Et c’est alors qu’Asher se met à croire à la possibilité d’une existence nouvelle que le drame se précipite, dans un final abrupt et d’une cruauté insigne. Car les jeunes de Greenwich Village peuvent se montrer pervers et manipulateurs et Asher, du haut de sa sagesse désabusée de quinquagénaire, est une victime toute trouvée pour leurs jeux mortifères.

The End of Me : le titre est assez explicite, et on ne déflore pas une intrigue qui n’est pas celle d’un roman à suspens en disant que tout se termine mal. Pour Asher, en tout cas, car Michael et Aurora continueront sans doute leur vaine existence avant que, l’âge aidant, ils ne décident de faire une fin bourgeoise, ou ne se voient balayés, à leur tour, par une nouvelle génération sans pitié.

C’en est fini de moi n’est pas une découverte majeure, mais c’est un livre sensible, touchant, – et dont on ne conseillerait pas la lecture à un quinquagénaire dépressif. Quatre romans d’Alfred Hayes restent encore inédits en français. On serait curieux de les connaître.

Christophe Mercier

Alfred HAYES C’en est fini de moi 
Traduit de l’américain par Agnès Desarthe
Gallimard, 208 pages, 12 euros.

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