Alias Grace est une nouvelle coproduction de six épisodes diffusée d’abord sur les ondes de CBC au Canada depuis la fin septembre et ensuite toute la série sera disponible sur Netflix à compter du 6 novembre. Celle-ci relate l’histoire de Grace Marks (Sarah Gordon) qui a été emprisonnée en 1843 pour le meurtre de son employeur Thomas Kinnear (Paul Gross). Seize dans plus tard, elle reçoit la visite du Dr Simon Jordan (Edward Holcroft), un éminent psychiatre qui tente de comprendre comment une jeune fille qui n’était encore qu’une adolescente à l’époque a pu commettre un tel geste. Adaptation d’un roman de l’auteur de l’heure Margaret Atwood, lui-même inspiré d’un fait vécu, Alias Grace, tout comme The Handmaids Tale fait la part belle aux femmes en dénonçant des conditions de vie qui à l’inverse de celles de la série d’Hulu n’ont rien de fictif. Et malgré une mise en scène assez manquant quelque peu d’inspiration, c’est la représentation de tout le volet historique concernant un pays à peine naissant qu’est le Canada qui vaut définitivement le détour.
Le Downton Abbey des domestiques canadiens
La série s’amorce et nous sommes en 1859 alors que le sort de Grace est toujours en suspens : la vie ou la mort. Selon la version officielle, elle et le garçon d’écurie James McDermott (Kerr Logan) auraient non seulement tué leur maître Kinnear, mais aussi la gouvernante Nancy Montgomery (Anna Paquin). La visite du psychiatre est l’excuse parfaite pour un retour en arrière : de son arrivée d’Irlande avec sa famille alors qu’elle était encore enfant à son premier emploi de femme de chambre dans une grande maison de Toronto. Là elle a fait une rencontre déterminante : Mary Whtiney (Rebecca Liddiard), une autre bonne qui lui en a appris plus sur la vie que toutes les années passées auprès de sa famille. Au troisième épisode, sa meilleure amie est décédée et Grace est recrutée par Nancy qui est étonnamment très proche de son maître. Mais déjà les tensions entre les deux femmes se font sentir.
Ceux qui auront apprécié The Handmaid’s Tale devraient également éprouver un coup de cœur pour Alias Grace puisqu’on y retrouve le même genre de réflexion quant à la féminité. Moins anxiogène il est vrai que la série de Hulu, celle de CBC nous dépeint tout de même la condition servile au Canada des femmes qui n’a rien de reluisant en ce milieu du XIXe siècle. Comme dans un cocon, leurs équivalents masculins sont quasiment absents de l’histoire et le peu qui réussissent à pénétrer dans l’univers de Grace nous donnent l’impression d’être des « grands méchants loups » tout droit sortis des contes populaires. Plus intéressant encore est ce double point de vue offert par la protagoniste. Le premier pourrait être qualifié d’objectif quant à son histoire personnelle qui ressemble à celle de tant de domestiques qui n’ont d’autre choix que d’accepter ces emplois qui les font trimer dur en échange de quelque dollars par mois seulement. Sa mère étant morte durant la traversée de l’Atlantique, sous la tutelle d’un père alcoolique et à la limite incestueux, on pourrait presque conclure qu’elle est une victime de la société, d’où l’hésitation du tribunal à la condamner à la pendaison. Elle-même, l’air de rien, y va de ces paroles assez révélatrices en parlant de sa meilleure amie Mary, morte des suites d’un avortement clandestin : « It was the doctor that killed her with his knife. Him and the gentleman between them. For it is not always the one who strikes the blow, that is the actual murderer. »
Mais c’est dans l’autre point de vue, celui des pensées de Grace que l’on reconnaît là l’influence de la plume de Margaret Atwood. La protagoniste avait beau n’avoir que 16 ans au moment du crime, reste qu’elle n’est pas aussi bête qu’elle le laisse paraître. Par exemple durant l’épisode #3, son psychiatre Simon lui demande quel genre de tâches elle exécute en tant que bonne. Et Grace de penser alors que seul le téléspectateur peut l’entendre : « Men such as yourself do not have to clean up the messes you make, but we have to clean up our own messes and yours into the bargain. In that way you are like children. You do not have to think ahead, or worry about the consequences of what you do. » Au fond, l’accent est judicieusement mis sur la condition féminine si bien que le comment du meurtre qui a été commis est à la limite secondaire, un peu comme dans Big Little Lies d’HBO. D’ailleurs, les deux victimes de la jeune servante n’entrent en scène qu’au milieu du troisième épisode, soit en plein milieu de série.
XIXe siècle ; Toronto
On ne peut pas dire que le nombre de séries originales canadiennes regorge au pays, si bien que les sujets exploités s’en trouvent limités et la fiction historique est par exemple quasi inexistant. CBC diffuse bien The Murdoch Mysteries se déroulant à Toronto au XIXe siècle, mais l’accent est davantage porté sur les enquêtes policières. Dans Alias Grace, en plus de s’attarder au sort des femmes de l’époque, on a également droit à une plus-value sur le contexte global : de la difficile traversée des Irlandais en bateau (qui nous rappelle The Book of Negroes, aussi de CBC) à l’arrivée à Toronto : cette tour de Babel avant l’âge où les nouveaux immigrants de plusieurs pays cohabitent dans des taudis infects. Sinon, on a tendance à confondre les États-Unis et le Canada en un seul bloc, mais peut-être plus à l’époque les différences sont palpables. Alors qu’au sud de la frontière on assiste à l’éclosion de nouveaux riches qui dépensent de manière ostentatoire, au nord, c’est carrément un microcosme de la Grande-Bretagne. La peur toute victorienne du moindre scandale régit les rapports codifiés à l’extrême entre les différentes classes de la société. Enfin, il y a le volet politique qui est aussi abordé. Mary ne cesse d’initier Grace aux « Clear Grits », un mouvement qui réclame entre autres plus de justice sociale et qui deviendra éventuellement… le parti libéral ; celui-là même au pouvoir de nos jours.
Le premier épisode d’Alias Grace a réuni 442 000 téléspectateurs en direct, ce qui prouve une fois de plus l’effort colossal que l’industrie du côté anglophone doit déployer pour intéresser sa propre population à des fictions locales. On peut toutefois se consoler en se disant que l’auditoire a augmenté à 636 000 en incluant le rattrapage sur une période de sept jours : une hausse de 45 %. Sinon, le nombre de fidèles est resté assez stable dans les deux semaines qui ont suivies : 410 000 et 389 000 respectivement. Espérons que l’accueil international sera plus déterminant lorsque la série s’en ira sur Netflix dans moins d’un mois.
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