Responsable d'activités à Millenium Management, Maurice Bellet-Edimo jouit de plus d'une douzaine d'années de pratique du capital-investissement en Afrique centrale. Ses nombreuses interventions portent essentiellement sur le financement et l'encadrement des PME. Pour ce professionnel, la méconnaissance du capital-risque est la grande pesanteur qui freine l'essor de l'activité au Cameroun. Toutefois, les possibilités de croissance demeurent. Il appelle donc de ses vœux l'éducation des acteurs et le regroupement des professionnels en la matière au sein d'une corporation pour l'éclosion de l'activité et la promotion du métier.
Le capital-risque peine à décoller au Cameroun alors que le pays est déjà à l'ère de l'économie numérique et de l'innovation avec l'éclosion de plusieurs startups. Qu'est-ce qui, selon vous, peut freiner l'essor de cette activité pourtant salvatrice pour les petites et moyennes entreprises ?
Le frein majeur de l'essor du capital-risque dans notre environnement est la méconnaissance que nous avons de ce mode de financement. Parce que mal ou peu connu, le capital-risque est incompris, craint, rejeté. Rappelons que le capital-risque est le capital de participation d'un investisseur professionnel dans une société en création présentant un fort potentiel d'évolution, mais se situant encore à un stade de grands risques, une période post-création au cours de laquelle la société a certes des prototypes, des biens à produire, mais pas encore la parfaite maîtrise de leur fabrication, ni celle de leur commercialisation, ni celle de leur gestion, ni celle de leur croissance. C'est au cours de cette période, voyez-vous que l'on observe le plus grand taux de mortalité des sociétés. Quelques mois pour certaines PME, deux à trois ans pour d'autres.
L'intervention d'un investisseur en capital-risque consisterait alors en un apport en méthodes, stratégie et fonds intelligents pour assurer la sortie de la société du stade de fort risque de mortalité pour la conduire vers le seuil de rentabilité. Il apparait dès lors que le capital-risque n'est pas un mode de financement des entreprises comme les autres. Il a sa singularité, ses exigences qui devraient être révélées, expliquées. La connaissance de ce type de financement, de ses principes, finalité et contraintes d'une part, et la préparation des promoteurs à une relation avec des investisseurs en capital-risque d'autre part seraient de nature à contribuer au développement de ce mode de financement dans notre environnement. Le financement bancaire est bien connu de nos jours, le financement par capital-risque pourrait également être connu de la sorte. Il faut juste y travailler.
En dépit des pesanteurs, y a t-il une possibilité de croissance pour cette activité au Cameroun ?
Ô que oui ! Et pour cela, il faut y aller avec beaucoup d'imagination et de pédagogie dans la diffusion de la philosophie et des pratiques de ce type de financement dans notre environnement. Encore faudra-t-il ajuster quelques modalités de fonctionnement avec le niveau de développement de notre économie. Par exemple, face à l'absence de marché financier dynamique pour assurer une sortie du capital, on peut proposer des cessions prioritaires aux promoteurs au bout du délai d'intervention convenu, ou des rachats par personnes recommandées. La conclusion des pactes d'actionnaires devrait se faire après une parfaite compréhension et acceptation des termes contenus dans le protocole, autant que possible en présence de conseils de toutes les parties, afin d'éviter plus tard d'ineffables malentendus.
L'éducation des acteurs au capital-risque, voilà ce vers quoi nous devrions aller. Et cette éducation devrait être assurée par ceux qui en ont le plus intérêt, je veux dire les professionnels du financement par capital investissement qui pourraient se regrouper au sein d'une corporation chargée de promouvoir le métier, de proposer des adaptations, de rassembler les éléments d'édification du cadre réglementaire et au besoin d'assurer une certaine discipline dans les agissements. Et que l'on ne parle pas des facteurs culturels comme obstacles au développement des affaires, car ils n'ont pas plus entravé le développement du financement bancaire si répandu dans notre environnement. Tout est question de volonté.
La détérioration du climat des affaires et la fébrilité des fondamentaux macroéconomiques dans notre pays ne peuvent-elles pas constituer un frein à l'éclosion du capital-risque ?
Comme je vous le disais tantôt, les conditions favorables d'éclosion du capital-risque au Cameroun viendront d'abord de la volonté des acteurs et au premier chef des professionnels du capital investissement à voir émerger ce mode de financement. Le climat des affaires, les fondamentaux macroéconomiques et l'environnement sociopolitique s'imposent à tous et ne peuvent être améliorés par une seule corporation de professionnels.
Malgré le contexte managérial très peu orthodoxe dans lequel évolue la PME camerounaise, le capital-risqueur peut-il facilement obtenir un retour sur investissement ?
L'investisseur en capital-risque, dans les diligences d'entrée en partenariat qu'il effectue, évalue justement le contexte managérial de la société dans laquelle il envisage intervenir et il s'emploie à le rendre compatible avec les objectifs fixés. Rien n'est laissé qui puisse faire ombrage à la réalisation des performances désirées ; c'est en cela que certains promoteurs trouvent assez durs les agissements des investisseurs en capital-risque.
S'il faut encadrer le promoteur de ressources humaines pour atteindre les objectifs, l'investisseur en capital-risque explique sa démarche et s'emploie à obtenir un meilleur encadrement. Ses actions peuvent aller jusqu'à demander la mise à l'écart du promoteur de la direction des affaires, le temps de réaliser les performances attendues. Il convient de rappeler que la conduite des affaires n'est pas facile ; et que l'on ne pense pas que l'obtention de résultats est chose aisée. Une fois la stratégie définie, et les moyens mis en œuvre, il faut y aller pour mener la bataille de la performance.
Le retour sur investissement est fonction des efforts utiles que l'on déploie. Je me garderai de donner un pourcentage quelconque, mais je dirai qu'il est fonction de la maturité des secteurs d'activité, de la taille des affaires et de l'appétit au travail que se donne le couple promoteur-investisseur.
Le terrain de jeu est-il égal pour tous les différents acteurs ?
Je ne parlerai pas d'égalité du terrain du jeu, mais je peux au moins dire que le terrain de jeu est le même pour les différents acteurs. Libre à chacun de savoir en tirer avantage, de développer une expertise spécifique qui assure des stratégies gagnantes au bénéfice de l'investisseur en capital-risque mais surtout de l'économie demandeuse de ce type de financement.
Vous voulez dire que le développement du capital-risque peut être bénéfique pour Cameroun. Outre le développement des entreprises en création, quels autres avantages l'économie nationale peut-elle tirer de cette activité ?
Le développement du financement par capital-risque est souhaitable et devrait même être exigée. Il devrait s'agir d'une volonté naturelle. Car l'investisseur par capital-risque ne demande qu'à accompagner la société au moment où elle paraît plus fragile que jamais, lors de sa création. Qui pourrait reprocher aux équipes de pédiatrie dans une maternité de prendre soin des nouveau-nés, de leur administrer des soins adaptés pour leur assurer la vie jusqu'à l'âge de bébé, puis d'enfant, avant de passer le relais ?
L'avantage du développement de cette activité est le renforcement de nos PMEs dès leur création, en actifs de production, en méthodes et en stratégies de développement. Ce sont des choses qui restent dans la société au-delà de la sortie de l'investisseur, libre aux promoteurs de continuer à observer les prescriptions autrefois appliquées par l'investisseur.
Autre avantage, c'est la diffusion dans l'économie d'un certain esprit de partenariat, c'est-à-dire de construction de relation solide, durable, stable et profitable à l'ensemble des parties. Dernier avantage et non des moindres, la culture du partage : partage de la vision, partage de l'information, partage des risques mais aussi de la rentabilité. Autant de choses qui contribuent à l'affermissement de notre économie.
Propos recueillis par Antoine-Francis Ekang