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Comment mettre Scratch, la Musique Contemporaine, l’Art, les Maths et l’Histoire dans un mixeur

Publié le 24 octobre 2017 par Jfcauche @jeffakakaneda

Comment mettre Scratch, la Musique Contemporaine, l’Art, les Maths et l’Histoire dans un mixeur

Quand j’évoque l’utilisation de l’art contemporain et plus particulièrement de la musique contemporaine en atelier avec les enfants, je vois souvent des regards étonnés. Le sujet paraît éloigné, peu abordable alors qu’il n’en est rien. Pour ma part, j’ai eu la chance de rencontrer la musique contemporaine dès que j’étais assez grand pour mettre les pieds dans une médiathèque, celle que je fréquentais étant plutôt bien fournie sur ce plan et m’ayant permis de découvrir des précurseurs comme Pierre Henry, Pierre Schaeffer, Klaus Schulze, Kfratwerk ou les premiers travaux de Vangelis ou Jean-Michel Jarre. Parallèlement l’on m’a offert une radio pour mes 11 ans lors de la « grande communion », radio que j’ai très peu écoutée, préférant me concentrer sur les sons bizarres, les parasites que l’on peut entendre entre deux stations. J’en ai gardé un grand amour pour ces sons et je n’ai jamais pu me résoudre à écouter la radio numérique pour cette raison.

Quand on évoque l’art contemporain, les réactions sont souvent mitigées voire agressives, le plus souvent par méconnaissance du sujet. J’ai été assez choqué d’entendre récemment un reportage sur la FIAC (Foire Internationale d’Art Contemporain) sur France Info qui compilait les clichés. Introduit tout d’abord par la mention « pour 1000€ t’as plus rien » car bien évidemment les artistes n’ont pas le droit de vivre de leur art… S’ensuivaient une tentative d’acheter à ce même prix une oeuvre de Basquiat (ou comment se foutre de la g… du m…, ni plus ni plus moins) et la remarque super archi ultra humoristique « à ce prix-là, je n’ai pas les lacets » au sujet d’une oeuvre représentant une chaussure au prix de 8000€. Du journalisme ? Non, un tissu de moqueries, pour ne pas utiliser un autre terme qui pourtant rime parfaitement avec.

Alors pourquoi la musique contemporaine ? J’ai tendance à répondre d’abord facétieusement par « pourquoi pas ? ». Il y a tout d’abord le plaisir de la découverte, de l’expérimentation au travers de différents outils. Les pré-requis ne sont pas importants. Attention ! Je ne me place pas sous l’angle stupide du dénigrement façon « ça, moi aussi je saurais le faire ». Loin de là ! Certes, il y a des oeuvres faciles, d’autres ô combien plus complexes. L’important n’est pas dans la technique mais dans ce que l’on ressent face à elles. J’évacue aussi le classique « on ne comprend pas ce que cela veut dire ». De même, tout est dans l’émotion et il n’y a pas forcément de message. Personnellement je suis assez peu fan de la peinture flamande et j’avoue honnêtement que voir la Joconde au Louvre ne m’a fait ni chaud, ni froid. J’ai passé par contre de longs moments dans des expositions d’art contemporain. L’important est donc de mettre en avant l’émotion, ce que l’enfant ressent en manipulant les sons et les instruments sans devoir l’assommer de longues théories auparavant. Elle vient après, elle naît peu à peu de l’expérience.

La musique contemporaine, tout comme l’art contemporain, permet aussi de revaloriser l’erreur ou ce qui est perçu comme tel. Peut-être avez-vous déjà entendu le terme « glitch ». Le glitch est une erreur, un parasite que l’on va exploiter et intégrer dans l’oeuvre. Les sons que j’affectionne en radio (dont vous trouverez un exemple ici) sont perçus par la plupart des gens comme du bruit et non comme de la musique. Lors des ateliers, nous exploitons des sons qui ne sont pas censés être harmonieux à la base et auxquels seul le travail de l’artiste va apporter une certaine musicalité (musicalité, pas harmonie). Ceci permet d’étendre le champ de la créativité au maximum. Par exemple, mes instruments « classiques » préférés sont l’orgue et le piano. En ajoutant des éléments entre les cordes, John Cage a permis d’obtenir de nouvelles sonorités, non offertes par le piano à l’origine. L’instrument n’est plus alors vu comme une fin en soi mais comme un champ d’expérimentations que l’on va pouvoir modifier et augmenter.

Si tout est « musique », cela signifie que les ressources sonores sont infinies et le champ des possibles plus que varié. Je me souviens pour la création du fond sonore d’une exposition avoir passé un mois et demi à enregistrer des sons à Lille, Paris et Bruxelles. Bruit des voitures, des panneaux publicitaires automatiques, écoulement des fontaines, pas dans la rue, grésillements électriques, bouts de dialogues volés au passage… Je m’étais retrouvé avec une collection de plus de 300 sons qui m’a permis de jouer en direct pendant à peu près 6h en triturant ces sons de différentes manières. Il me suffit aujourd’hui de voir les enfants explorer les salles et couloirs de leur école ou collège, micro à la main, pour en saisir tout l’intérêt. J’avais même avec une classe de CP exploré le jardin. Nous avions enregistré le bruit de pommes de pin tombant sur le sol après les avoir lâchés de plus ou moins haut. Nous les frottions aussi sur différentes surfaces. Avec des collégiens, frapper à l’aide d’un bâton sur les piliers de basket m’avait permis de leur expliquer ce qu’était la réverbération, quelle était la différence avec l’écho et nous avions produit à l’aide de Scratch un piano assez bizarre car nous avions coupé l’attaque des sons (le début) pour n’en garder que la fin. L’ajout d’une pédale d’écho en sortie avait permis de donner plus d’ampleur au son. Enfin, nous l’avions utilisé plongés dans le noir, une lampe digne d’une discothèque projetant des points de couleur sur le plafond et les murs. Expérience garantie…!

Enfin, la musique contemporaine n’est jamais très loin des arts visuels et il est intéressant de pouvoir travailler cet aspect avec les enfants en exploitant leurs dessins, en les incitant à imaginer à l’aide de Scratch. Lors d’un atelier pendant les vacances, nous avions eu la chance de travailler dans une galerie de Lille en plein exposition. L’une des activités avait été de s’inspirer des oeuvres pour créer un algorithme permettant de dessiner plus ou moins à la manière de l’artiste. Pourquoi ne pas alors ensuite s’en inspirer pour composer ? Puiser dans les oeuvres de Sonia Delaunay, les fractales de Mandelbrot ou les multiples variations graphiques offertes par le nombre Pi ? Cela oblige à intégrer d’autres notions comme les mathématiques, l’histoire et peut offrir une belle transversalité à plusieurs apprentissages.

On pourra m’objecter qu’il existe des langages plus appropriés que Scratch pour composer de la musique, par exemple Processing, Sonic Pi, Pure Data… En effet, et je n’hésite pas à les utiliser couramment. Mais Scratch possède un certain nombre de qualités desquelles je ne saurais faire abstraction : accessible de 7 ans (et moins) à 777 ans, langage puissant non dénué de contraintes créatives, disponible en de nombreuses langues, communauté et expérience importantes, compréhension facilitée des algorithmes… Il constitue une très bonne introduction à d’autres langages plus complexes non sans offrir des possibilités énormes. Qui plus est, il mêle plus facilement que les autres les aspects sonores et visuels. C’est pour cela que je me suis lancé dans une série d’articles sur Scratch et la musique dont la partie technique vient d’arriver à terme avant de se plonger dans la description d’expériences musicales. J’espère transformer cette série en un ouvrage sous peu.

Des exemples ? Tout d’abord 4’33 de John Cage ou comment aborder la question de l’environnement sonore en détournant quelque peu le jeu du roi/reine du silence. La création et l’utilisation d’un séquenceur analogique en atelier, cet instrument cher au compositeur électronique Jeff Mills, où les touches du piano sont remplacées par des boutons rotatifs permettant ainsi de créer des boucles musicales et de les faire varier rapidement en temps réel. Produire de la musique ambient en improvisation totale en reprenant les règles du feu (mais bientôt renaissant tel le Phénix) Derrick Sound System. J’y reviendrai prochainement. Utiliser les propriétés du phasage / déphasage propres aux compositions de Steve Reich. J’y reviendrai aussi. Utiliser le hasard et les dés comme Mozart… Nous en reparlerons également.

Les possibilités sont vastes. Hors de question donc de s’en priver. J’ai un souvenir terrible de « Colchique dans les prés » ou des textes de Gilles Vigneault que mes professeurs de musique de 6éme et 5éme se sont évertués à me faire jouer à la flûte ou chanter jusqu’à ce qu’exaspéré j’assume mes choix et refuse purement et simplement d’exécuter les dites oeuvres. Je laisse aujourd’hui la liberté aux enfants avec pour seule objectif d’attiser leur curiosité : produire un beat hip-hop, une boucle électro-jazz avec les seuls sons du CDI ; organiser une sieste électronique à partir de sons du jardin ; transformer son prénom en plainte fantomatique ; réinventer la batucada à l’aide de carton et de papier aluminium… Mais, par dessus tout, faire plaisir et se faire plaisir !


Classé dans:Code, Musique, Scratch

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