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Par Adélaïde
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Je ne vous raconterai pas d’histoire. Les mots, je les ai aimés tard.

“Va lire”, “Prends un livre, tu ne lis jamais”. Cette injonction de mes parents dans un soupir résonne encore en moi avec force. Je sentais ce moment arriver, et je le craignais. Je n’avais pas envie, de lire.

Et la femme que je suis aujourd’hui jette un oeil amusé à la petite fille qui parfois renonçait à rechigner et allait s’enfermer dans sa chambre pour s’appliquer à lire, un peu, très peu, comme on lui aurait demandé de mettre le couvert ou d’étendre le linge. Contrainte, sans plaisir, mes yeux parcouraient les lignes de livres que je refermais assez vite. Non, si tôt je “parlais comme un livre”, je n’ai pas été cette enfant qui les dévorait comme des bonbons.

Puis.

Mon père m’a mis Boy de Christine de Rivoyre entre les mains et je me suis laissée emporter par le souffle délicieux de Bonjour Tristesse. J’avais 15 ans peut-être. Je voulais être elle. Évidemment.

J’ai dévoré, un soir, l’Ecume des jours et pleuré dans la rue de Rome quand le Lennie des Souris et des Hommes est mort.

Je me souviens La Modification que j’ai lu tôt, parfois ai-je pensé ensuite, trop tôt peut-être. J’y pense et replonge dans la sensation que j’avais dans ce train qui de Paris à Rome emmenait cet homme vers un autre amour. Je devais avoir 16 ans et j’ai pensé que ça arrive, que l’amour meurt, qu’il y a plusieurs amours.

J’ai été surprise et survoltée par la poésie fracassante de la “Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France”. Ma prof de Français, au lycée, l’avait choisi pour notre bac ; cette femme fait partie de mon réveil aux mots, je ne l’ai compris pleinement que plus tard.

J’ai découvert Kundera, qui dit les âmes humaines dans leurs contradictions, sans mensonge, sans vernis ; sa manière d'écrire les sentiments, dans leurs nuances, de sonder l'humain dans ses flottements.

A 20 ans, j’ai été bouleversée quand ma professeur de lettres, de sa voix si parfaite pour le lire, nous a lu “Nous deux encore”, de Henri Michaux. J’ai mis le nez dans sa poésie et j’ai adoré “Clown”, un de mes poèmes préférés, comme un poème fondateur.

Amusée par ses lectures des Entretiens avec le Professeur Y de Céline.

J'ai trouvé la Sanseverina de Stendhal magnifique. Quelle femme, quelle liberté, quelle tempête !

Un amoureux m’a fait découvrir Roberto Bolaño, qui plane haut, qui regarde et envisage le monde à l'échelle cosmique. Nocturne du Chili m’a emportée loin, cette écriture déliée où tout pourtant se tient, la poésie à couper le souffle, parfois furieuse des romans de Bolaño.

Un autre m’a mis la Peau de Malaparte entre les mains, glaçant, infâme, dans la Naples ravagée, prostituée, dépecée, famélique, de l’après-guerre, sublime aussi.

Mon amie Hélène m’a donné l’envie de lire Duras, que je pensais trop ardue. J’ai pleuré dans les dernières pages du Ravissement de Lol V.Stein, saisie par leur beauté fulgurante. Je n’avais jamais versé de larmes de beauté, je n’oublierai pas ce moment.

Mes lectures sont mes moments, dans une solitude délicieuse. Alors parfois je relis, plusieurs fois, lentement, les mots d’une phrase, une tournure qui m’a happé, touché, bouleversé, je la griffonne sur un coin de papier pour la garder, comme la “beauté de perdition” de la Vanessa du Rivage des Syrtes. Comme “le lit bouleversé” que dessine Simenon. Ce désordre érotisé qui saute aux yeux dans ces deux mots parfaitement joints. Comme la Joana de Clarisse Lispector qui “pleure en notes larges”…Comme tous ces extraits notés dans des petits carnets, à droite à gauche, placardés parfois au mur, ces pages cornées dans les livres que j’ai aimés.

J’aime partager ce goût des mots, la lecture, ce sont aussi des conversations infinies avec mon oncle Gilles, une complicité particulière, une sensibilité qui nous relie, une terre sur laquelle nous avons chacun une place, où l’on s’invite régulièrement l’un l’autre. J’ai aussi grandi, en lecture, avec lui, même quand je ne le percevais pas.

Mes lectures sont une nourriture, pour moi, pour les autres. Le temps avançant, je me sens allant toujours plus sensible à la littérature et vit, un peu, grâce, par, elle. Elle n’est pas hors de la vie, je la vois comme dans la vie. Je l’infuse dans ma vie, elle s’imprègne dans ma vie et me porte, elle me fait voir le monde, voir des mondes, elle me fait penser, elle me fait changer, j’y cherche à la fois ce que je ne connais pas et ce que je suis.

Je l’ai délaissée un temps, et retrouvée avec la vigueur d’amants qui auraient été séparés trop longtemps. Je ne la quitte plus. J’ai longtemps pensé ne pas avoir de passion. Mais je me trompais.

11 hours ago

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