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Max | Indésirables

Publié le 26 octobre 2017 par Aragon

"On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels."

Anatole France, lettre à Marcel Cachin, "Huma" du 18/07/1922

Le genre humain a une blessure qui n'arrive pas à se cicatriser.”

Félix Leclerc

"Quiconque a détruit un préjugé, un seul préjugé, est un bienfaiteur du genre humain."

Chamfort

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Dans les familles, les vieux, qui ont du temps, c'est connu, beaucoup de temps devant eux, passent une partie de ce temps - qui ne leur est plus compté - à chercher, lire, farfouiller, ouvrir des tiroirs ou de vieilles boîtes en fer.

Y'a toujours des boîtes en fer dans les familles, les vieux en connaissent par coeur la trace, presque olfactive, l'accès, le chemin : sommet d'un buffet, ventre d'un bahut, entrailles d'un placard, étagères d'une cave, y'a toujours des boîtes en fer chez les vieux. Dans ces boîtes, souvent des vies, leurs vies, des bribes, ils y vont, ils y reviennent, ils se souviennent...

"Mom" me donne ce matin les photos de 2 indésirables trouvées dans sa boîte en fer hier soir, son père, mon grand-père Ulysse, le pépé de toutes mes Ithaques et tonton Pierre, le frère du père de mon père. Tous les 2 n'étaient pas vraiment en odeur de sainteté dans la famille, because ils picolaient un gros brin, étaient anars purs et durs, n'étaient pas "dociles", ne reconnaissant aucune autorité, ils avaient "mauvais genre"...

Cent fois ma mère me voyant rentrer bourré dans ma jeunesse folle et à mauvaises moeurs dédiée et me tenant gentiment la tête dans la cuvette des gogues me disait que je finirai comme son père et tonton Pierre, qu'il fallait que je réfléchisse, enfin, bon sang, Max, tu crois que c'est bien de te mettre dans des états pareils...

Ces deux-là dans ma family c'étaient mes préférés. Le pépé de Castel m'a élevé, m'a tout donné de sa présence estropiée, de son coeur et son regard d'immense pépé ; tonton Pierre, lui, amollois, resté célibataire, interdit de séjour par la grand-mère (sa belle-soeur) s'en foutait, il forçait la porte de temps à autre, balançait une vanne dans l'épicerie, outrant les clientes et les bigotes, caressait nos cheveux d'enfants, repartait en sifflant, partageait chez lui quand on s'y sauvait le dimanche, un éclair au chocolat qu'il achetait au marché. Il glanda dans sa vie au retour de 18, il était spécialiste en peinture des "noms" pour les tombes et les caveaux des cimetières, mais aussi et avant tout prince landais du billard français, empereur de la chopine...

J'ai aimé profondément mon pépé de Castel et mon tonton Pierre, les ai vraiment beaucoup aimés. Personne ne pouvait les comprendre. Quand tu es sorti vivant mais totalement brisé de Verdun, Charleroi ou du Chemin des Dames, "les autres" ne comprendront jamais rien à rien de toi.

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Je pense à eux et à ce clin d'oeil du destin qui fait que ma mère me file ce matin ces photos alors que je lis un papier sur le film de Dupontel "Au revoir là-haut", tiré du roman éponyme de Pierre Lemaître (Goncourt 2013). Bouleversant. La BD est aussi passionnante.

Pépé, tonton, je vous envoie sur "la Toile" pour vous faire connaître car vous le méritez, pour vous dégourdir vos pattes brisées, vos gueules cassées, boire quelques canons à ma santé, à celle de vos potes de jeunesse brisée... si vous trouvez quelques bistros cosmiques...

Mon cher pépé de Castel, mon cher tonton Pierre d'Amou...


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