Magazine
Quand j’ai quitté Bacalan en 69 j’ignorais que j’y reviendrais quarante et un an plus tard.
J’y vécu des moments historiques : Mai 68, la construction et l’inauguration du pont d’aquitaine et mon éviction à coup de pied au Q du collège Blanqui. Historique ça aussi. Vous l’avez compris mes amis la petite histoire personnelle croise l’Histoire, la vraie avec un grand H et c’est là, dans cette fêlure que la Hache de la nostalgie nous ouvre en deux. Que l’on soit un chêne ou une allumette.
Pour moi Bacalan est une terre rebelle peuplée de résistants. De souvenirs et d’émotion.
Celle de la transgression quand j’apportais en 68 à mon vieux la gamelle du piquet de grève dans cette atmosphère où le temps suspendu et la nuit tombée portait l’angoisse de la répression ou l’espoir de la revendication. J’avais seul le droit de passer devant le cantonnement des CRS pour aller à l’A.R.N.I avec le double privilège de l’aîné de la famille et du jeune mâle à la tête brûlée. Première confusion : comme si le courage était une exclusivité masculine alors que ma frangine avait plus de couilles que moi quand elle passait la première à la piquouze au dispensaire de la rue Dupaty sans oublier maman qui revenait les avant bras brûlés par l’acide des batteries de la SAFT pour me payer un falzar neuf à la rentrée.
Celui de la transgression encore où s’exprimais mon refus de l’autorité à commencer par celle de l’éducation qui après Mai 68 n’était pour moi que l’outil de l’état pour fournir des arpètes aux usines. Confusion encore ! Je sais désormais, mais trop tard, que l’éducation est la seule permission de sortie dans la prison de la démocratie.
Celui de la transgression aussi quand je trimais avec une carte d’identité jamais fournies pour aller décharger les primeurs du Maroc aux hangars climatisés des bassins à flots dés 15 ans. Confusion aussi car la transgression n’est pas la triche. Et pourtant la résistance est toujours clandestine. Putain c’est compliqué !
Et ce pont d’Aquitaine pas encore ouvert où nous allions à trois sur un Solex et sur le viaduc en construction en passant la barrière de sécurité le dimanche à voir la Garonne d’en haut au bord du vide à plat ventre sur le béton.
Et ces murs escaladés pour boire du Pschitt en direct prélevé sur la palette d’un dépôt oublié quelque part derrière la rue Achard
Et d’autres conneries de rebelles en carton.
Pourtant Bacalan restera, à tord ou raison, terre de solidarité et de résistance, de dockers vainqueurs et de métallos chômeurs, d’amis retrouvés et de causes perdues, de jeunes candides tout neufs et de vieux militants épuisés !
D’émotions et de souvenirs vous disais-je!