Jean-Paul de Dadelsen. L’épopée du trou du cul

« Ô présomptueux, qui dit misère,voici les petites sœurs des pauvres   et Messire Vincent de Paulvoici ce profond amour qui va tout droit sans rien marchander et qui embrasse l’être tout entier   et l’enfant de 18 ou 68 ans, l’enfant des pauvres […]voici cet amour qui ne discute pas avec Dieu   et ne fait pas le critique esthéticien qui trouve   que dans la création, à côté de passages de première force,    il y a de bien regrettables faiblesses.Ô truie esthétique, qui tolère les araignées, les serpents,   et qui parfois dit merde pour faire moderne,   mais ne saurait souffrir mention des poils du cul ! »
Est-il vraiment besoin de commenter un poème aussi drôle que le Jonas de Jean-Paul Dadelsen ? Prêtons-nous à l’exercice.Le colossal Jonas est une épopée d’un genre nouveau. À la poésie des années 70, elle emprunte le grand bouleversement typographique et la nouvelle mise en page où le souffle se déploie librement. Mais là s’arrête le rapprochement. Car à l’inverse d’un expérimental Denis Roche, Jean-Paul de Dadelsen ne souhaite pas s’enfoncer dans l’épaisseur primitive du langage. Lui préfère rester à la lisière de la jungle, à la frontière entre sens et non-sens.Troué d’apartés et de digressions, Jonas avance en zigzags. Par saccades et secousses successives. De ce grand méli-mélo de mots naît une épopée bigarrée. Où le grand récit s’égare dans des circonvolutions grotesques et sublimes, à l’instar de ce passage de défense des « parties honteuses » dans la langue poétique.C’est que Dadelsen ne fait pas « le critique esthéticien ». Lui « embrasse [la création] tout[e] enti[ère] », dans un immense désir cosmique, qui s’apparente au panthéisme d’Ostinato. Pour Dadelsen comme Louis-René des Forêts, la poésie a pour mission de s’immerger dans un être profond et de porter une égale attention à tous les êtres, choses et mots. Dans le sillon du dieu créateur, le poète ne discrimine pas.  Mais là où Des Forêts conservait un idéal romantique, l’irrévérencieux Dadelsen se détache de toute utopie mystique. Terre-à-terre, pataugeant, comme le prophète Jonas, dans la glaise du monde, il cultive un amour bien plus prosaïque des éléments. La terre humide et sale envahit sa bouche, où elle côtoie les plus précieuses des pierres. Ce n’est pas du côté du romantisme qu’il faudrait trouver une origine à cette si curieuse épopée ; mais bien plus lointain, du temps de Scarron, de son Virgile travesti et de ses grandioses aventures de trous du cul.
Jonas, de Jean-Paul de Dadelsen, 1962Maxime
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