Magazine Politique

Algérie, ta jeunesse fout le camp !

Publié le 03 novembre 2017 par Gonzo

Algérie, ta jeunesse fout le camp !Pour sourire (jaune) à ce dessin de Dilem, il faut avoir suivi les très nombreux commentaires, en Algérie bien entendu mais aussi dans le monde arabe et même en France, qui ont accompagné les images spectaculaires de centaines de jeunes Algériens massés aux petites heures devant le Centre Culturel Français (qu’il conviendrait, ce que personne ne fait vraiment, d’appeler l’Institut français d’Alger). Venus de tout le pays, certains ayant même pris pour cela une chambre d’hôtel à proximité, les « assiégeants » ont patienté des heures pour obtenir un rendez-vous leur permettant de passer le « test de connaissance du français » (TCF), indispensable préalable pour une demande de « visa pour études ».

La scène se passant à la date anniversaire de la « Toussaint rouge » de 1954, celle des premiers attentats du FNL qui marquèrent le début de la guerre (de libération) d’Algérie, ce télescopage, souligné par Dilem, entre ces deux « événements » à 63 ans de distance, a marqué les esprits. Pour beaucoup d’Algériens, c’est une terrible humiliation que de voir ainsi leur propre jeunesse mendier un rendez-vous à la porte de l’ancienne puissance coloniale. Comme l’écrit l’universitaire Ahmed Rouadjia dans le quotidien Liberté, force est de se poser « la même question que se posent in petto des millions d’Algériens : à quoi l’indépendance a-t-elle servi si elle ne peut retenir ses “fils” rivés au sol national sur lequel s’est coagulé le sang d’un “million et demi de martyrs ? » L’interrogation est d’autant plus cruelle que l’affront est public, avec ces images qui font le tour des réseaux sociaux et qui sont reprises, tantôt par les pires sites réactionnaires, tantôt par les médias des « pays frères » avec, par exemple, ce commentateur égyptien dénonçant ce « spectacle honteux pour la oumma » à la veille de l’anniversaire du déclenchement de la guerre de libération…

Pourtant, c’est peu de dire que l’exode massif de la jeunesse est une réalité connue depuis longtemps. Un commentaire, qui ne cite malheureusement pas sa source, évoque ainsi le chiffre, sans doute exagéré, de près d’un demi-million de cadres ayant quitté le pays depuis le début des années 1990. En revanche, on sait de manière certaine que les universités françaises ont reçu l’année passée largement plus de 20 000 candidatures d’étudiants algériens, en majorité au niveau licence ou mastère.

Cette envie de la jeunesse algérienne d’aller voir ailleurs si les choses  vont un peu moins mal, rien ne l’explique mieux en définitive que les réactions des « responsables » algériens. À la recherche des vrais coupables, le secrétaire-général du FNL, Ould Labbès, n’hésite pas ainsi à qualifier ces jeunes qui se pressent pour faire leurs études à l’étranger de traîtres à leur pays : la vidéo, diffusée par Ennahar rencontre un grand succès ! La bonne vieille thèse du complot étranger offre également une explication toute trouvée. Pour le Rassemblement National Démocratique par exemple, le parti du Premier Ministre, les vrais responsables, ce ne sont pas ceux qui ont gouverné ce pays de telle manière que sa jeunesse ne songe qu’à s’en aller, mais ceux qui instrumentalisent les images d’un événement détourné de son sens : « Certains ont voulu faire croire qu’il s’agissait de demandeurs de visa alors que la réalité est toute autre. Les foules qui se sont amassées hier devant le CCF étaient là pour passer un concours de maîtrise de la langue française dans la perspective de poursuivre leurs études en France ». Une opinion que partage Tayeb Zitouni, le ministre des Moudjahidine, pour lequel « en politique, il n’y a pas de hasard » et qui s’interroge donc sur la coïncidence de ces images humiliantes avec la célébrations de dates historiques…

Mais la citation retenue par ce webzine francophone ne met pas en évidence ce qui apparaît en revanche dans le quotidien arabophone Al-Hayat, à savoir que le responsable algérien « doute des intentions des Français » (السياسة لا تفترض العفوية لذلك نشكك في نوايا الفرنسيين). Le site du Ennahar va encore un peu plus loin en titrant, avec une magnifique mauvaise foi, que « la langue française suscite la pagaille » la directrice du CCF « refusant de recevoir les Algériens » ! (اللغة الفرنسية..تثير الفوضى ومديرة “CCF” ترفض استقبال الجزائريين).

C’est un fait que les responsables culturels français ont été particulièrement maladroits. En décidant tout à coup que les inscriptions pour les fameux tests de langue devaient se faire in presentia actuale et non pas par internet comme auparavant, il leur était assez facile en principe d’imaginer les conséquences pratiques d’un tel changement, sur lequel, d’ailleurs, ils n’ont pas hésité à revenir en voyant que la situation n’était pas loin de tourner à l’émeute ! En langue de bois, cela s’appelle une « modification de la stratégie d’accueil » ! Tout un programme !

Signe que les choses vont vraiment mal dans ce pays, les complots se rajoutent aux complots. Certains n’hésitent pas à clamer (une fois de plus) que les Kabyles sont les premières victimes (parce que plus francophones que les autres ? ) et qu’il est temps d’exiger de la France d’ouvrir une ambassade en Kabylie, un Institut français à Tizi-Ouzou !  En ces temps où l’indépendance sur fond de revendication ethnico-nationale a le vent en poupe, peut-être verra-t-on une partie de la jeunesse algérienne, qui explore déjà les pistes roumaine ou ukrainienne, se mettre au catalan !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Gonzo 9879 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines