Sorti un an après Dracula et Frankenstein et réalisé par Karl Freund, le chef-opérateur du premier, La Momie invente le premier monstre « purement » cinématographique du Universal Monsters. Le film se distingue également par son cadre spatio-temporel : il se place pour la première fois dans l’univers résolument contemporain de l’Égypte sous protectorat britannique. La créature, encore une fois portée par Boris Karloff, condense les peurs de la société occidentale : ésotérisme, mysticisme, indépendance des colonies.
Les atours du Mal
Dans La Momie, le Mal se camoufle, et le monstre se travestit. Passée la séquence introductive, où l’on voit Imhotep revenir à la vie, la créature n’apparaît plus sous sa forme momifiée. Pour mieux se fondre dans la société des années 30, elle emprunte le rôle d’Ardath Bey, un riche notable égyptien, fin connaisseur de la civilisation antique. Si le spectateur n’est pas dupe, les personnages britanniques le sont.Dès lors le film avance par complicité avec le public, dans un double jeu de monstration/dissimulation. La mise en scène ne cherche pas tant à découvrir le monstre qu’à révéler ses moyens d’influence dans la société. C’est pourquoi, contrairement aux plans fixes de Dracula et Frankenstein, hérités de l’expressionnisme allemand, La Momiemultiplie les mouvements de caméra : telle une enquêtrice, la caméra avance dans le dédale du Caire, traque les crimes du monstre et lève le voile sur ses méfaits, ignorés des protagonistes. Se dessine alors l’image d’une Égypte insaisissable (futur cliché repris par le cinéma hollywoodien), dont l’ésotérisme sert de moyen de résistance à la domination coloniale.
Un film colonialiste
Car la menace de La Momie demeure insidieuse, pernicieuse. À la différence des futures adaptations et autres remakesà base d’effets spéciaux numériques, Karl Freund ne fait pas de sa créature une entité sortie des profondeurs ancestrales. Ici, le monstre endosse une forme moderne, pour mieux duper les colons, et agiter les foules indigènes. La vraie peur qui travaille La Momie est de type colonialiste : la crainte de voir les locaux se soulever, guidés par un chef autant mystérieux que charismatique – à l’image du terrible Madhi, grand guerrier et meneur spirituel musulman dont le Soudan insurgé résista aux Anglais pendant près de dix ans.Aussi le film se rapproche de Dracula. Dans les deux films, la terreur vient de la manipulation du désir des êtres faibles. Entendez par-là femmes – Helen Grovesnor (Zita Johann) dans La Momie, d’autant plus fragile qu’elle a pour mère une Égyptienne, et Mina Harker dans Dracula – et domestiques – le Nubien (Noble Johnson) et Reinfield. Et le même motif revient : le regard brillant du monstre. Ici, pas de sourcils levés en accent aigu, mais un savant jeu de maquillage sur le visage massif de Karloff qui rend ses yeux extrêmement brillants. Filmés en très gros plan, ils fascinent, séduisent, hypnotisent : la magie antique a raison des colons. Et l’infiltration du Mal dans la société coloniale va jusqu’à gangréner le cadre cinématographique. À de nombreuses reprises, le bassin magique d’Imhotep se superpose à l’écran, comme si son art occulte s’emparait du médium moderne, comme si ses charmes antiques captivaient le public. Ce métissage des techniques demeure ambivalent : d’un côté, il repousse, car il fait craindre la contamination des colons par une terre qui leur échappe ; de l’autre, son exotisme attire, car il brouille les lignes et trouble les frontières. S’esquisse là un des grands motifs du cinéma d’aventures hollywoodiens : la peur et la fascination pour l’Autre, séducteur et manipulateur.
La Momie, de Karl Freund, 1932
Maxime
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