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barrage-bande-annonce-isabelle-huppert-2017

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Ceux pour lesquels féminité et maternité ont naturellement partie liée en seront pour leurs frais. Ceux voyant en la femme avant tout un ventre à même d’assurer pour l’espèce sa pérennité risquent d’être désarçonnés. Dans Barrage, être mère se fait dans la douleur et la plus malsaine des difficultés.

La projection de soi, l’abandon, la fusion inaliénable par-delà toute raison. Élever, former, faire grandir : en fait, établir entre mère et fille une véritable relation.

Ayant fui le domicile maternel quelques années auparavant, ayant laissé la garde d’Alba, sa propre enfant, à sa mère, Catherine (Lolita Chammah) a tout à reconstruire. L’absence a eu raison de la confiance, la connivence, elle, s’est faite défiance.

Le lien mère-fille, désormais brisé par l’immixtion entre les deux de la figure matriarcale incarnée par Zaza (Isabelle Huppert), sera ainsi mis à l’épreuve des faits, où le passif et les actes prendront le pas sur le sang, auront davantage de légitimité que les (bonnes) intentions de l’instant.

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Tiraillée entre l’amour sincère mais vampirisateur de sa grand-mère (convaincue que ses désirs et ses envies rejoignent ceux de sa petite-fille), et celui, maladroit, désespéré et immature, de sa mère, Alba va se retrouver au cœur d’un triangle amoureux inusité : ou comment se construire et s’affirmer face à deux ogresses persuadées d’œuvrer dans son intérêt ?

Paradoxe ou éclair de lucidité, Catherine affirmera tout de même « je ne le fais pas pour elle, je le fais pour moi ». Traduisant par là même la nature égoïste souvent non assumée mais pourtant bien réelle d’une relation filiale, où l’enfant se fait miroir du passé et des potentiels échecs de ses parents.

Trois personnages principaux, trois générations de femmes prises au piège du cadre dans lequel elles se sont laissées ou ont été enfermées. Un echo social à côté duquel il est difficile de passer et qui, au regard du contexte actuel particulièrement tendu quant à la place et la représentation de la femme au sein de nos sociétés, mérite amplement d’être soutenu et souligné.

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Une prise avec le réel dont Laura Schroeder accentue d’ailleurs les contours en prenant le parti d’une approche quasi-documentaire, faite d’images brutes et d’élans esthétiques volontairement contenus. L’absence de musique d’ambiance, à l’exception de l’irruption à l’occasion de morceaux originaux, tend également à souligner cette volonté de réalisme (voire par instants d’hyperréalisme) dans la représentation des événements et des enjeux, plantant un décor à la fois familier et étouffant d’aridité.

Cette sensation d’étouffement n’en est d’ailleurs que plus forte au regard du format d’image choisi par Laura Schroeder, ce format carré dont le Mommy de Xavier Dolan s’était fait le chantre afin d’enfermer le spectateur dans le même carcan spatial et mental que ses personnages.

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Solution de facilité, idée d’une redoutable efficacité dont on aurait tort de se priver ? Le fait est que dans Barrage, plus encore d’ailleurs que dans le Dolan, ce parti-pris permet effectivement de mettre l’emphase sur la psyché des figures représentées, autant qu’il tronque considérablement toute velléité de proposition graphique à même de rehausser formellement une formule au demeurant éculée.

Là où Mustang de Deniz Gamze Ergüven, et dans une moindre mesure Ava de Léa Mysius, avaient su conjuguer leur amour du réel avec une véritable démarche stylistique, Laura Schroeder, jouant la carte d’une certaine sécurité en ne sortant jamais du sérail, passe un peu à côté du plein potentiel de son sujet.

La folie gagnant peu à peu les réactions toujours plus erratiques de Catherine auraient ainsi pu donner lieu à un glissement vers le fantastique, ou du moins vers des visions fantasmagoriques que la thématique centrale du film (l’abus émotif) appelait de ses vœux, là où Laura Schroeder a finalement choisi de s’en tenir à un naturalisme certes cohérent au regard de la démarche, mais traduisant également une absence dommageable de prises de risques.

Comme si cette dernière se refusait à l’abandon, ne se relâchait jamais totalement. Un barrage formel et narratif s’embourbant dans une retenue étouffant la folie, annihilant le choquant.

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Un manque d’incarnation subséquent que l’on retrouve par ailleurs dans l’interprétation et l’écriture des dialogues, toutes deux frappées du sceau du théâtre filmé, dont le cinéma français éprouve décidément les pires difficultés à se débarrasser. Cette dimension théâtrale, symptomatique du drame très premier degré et un peu étriqué, ne pouvait pourtant que poser problème, en cela qu’elle contredit par nature toute tentative de représentation crédible du réel, où chaque fausse note, chaque anicroche peut à elle-seule mettre à mal l’immersion. Une dissonance que l’on pourrait rapprocher de l’Uncanny Valley en jeu vidéo, où les progrès technologiques constants permettent de repousser les limites du photoréalisme, mais dont le moindre défaut, dans le même temps, saute alors paradoxalement aux yeux dans des proportions similaires.

Paradoxe, c’est donc bien le terme que l’on pourrait en fait apposer à Barrage et à toutes ses composantes, tant chacune d’elles se fait le chantre d’une volonté de bien faire prégnante et séduisante, amoindrie par des limites, du point de vue de la réalisation comme du jeu, elles-mêmes criantes.

À ce titre, la prestation de Lolita Chammah (véritable fille d’Isabelle Huppert à la ville), pourrait cristalliser à elle-seule cette problématique, son approche du rôle se faisant tour à tour énigmatique et insaisissable, puis bien vite monolithique et caricaturale. On s’attache alors, on se détache, on se raccroche aux wagons, puis on lâche prise, on lutte à nouveau à travers les longueurs, et ce jusqu’à la conclusion qui saura, elle, donner entière satisfaction.

Dans Barrage, l’important sera donc moins le voyage que la destination : la rallier sera tout sauf une sinécure, une épreuve aussi irritante qu’attachante, mais qui pour peu que l’on daigne s’y accrocher saura se montrer tout à fait gratifiante.

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Film vu dans le cadre du Festival Cinemania 2017.


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