Vous avez animé en 1986 la première retraite au Japon. Pourquoi vous a-t-on choisi ?
Cela a été une surprise pour moi : 27 moines et religieuses venant d'Occident, dont le mariste Bernard Rérolle, le bénédictin Benoît Billot et Jacques Breton, le père fondateur du centre Assise, ont passé un mois dans divers monastères au Japon. Il y a eu une sesshin [période intensive de méditation, ndlr] de cinq jours à Okayama. Et j'ai été nommé pour guider la pratique des participants, alors que je ne disposais pas de compétences particulières pour le dialogue interreligieux. Cela a été une expérience formidable. Le groupe des 27 était associé à des novices bouddhistes, que l'on appelle « les nuages et l'eau », c'est-à-dire des jeunes qui sont censés avoir la malléabilité des nuages et de l'eau. Ce qui sans doute était moins le cas de la délégation européenne.
Vous vous êtes rendu ensuite dans un monastère en Europe. Qu'est-ce qui vous a étonné ?
Je ne connaissais absolument rien à la religion chrétienne. J'étais surpris qu'on nous ouvre les portes et que nous puissions partager le quotidien des abbayes, car je croyais que c'était un royaume interdit. Des échanges plus étroits ont ensuite été instaurés par le pape Jean Paul II qui a donné son accord pour que se noue ce genre de rencontres. À ma connaissance, c'était la première fois que cela se produisait depuis la naissance du Christ. En 1986, j'ai animé les premières sessions zen pour des moines et des laïcs.
Trente ans plus tard, que peuvent apporter ces rencontres à notre époque ?
Nous vivons dans des sociétés marquées par un fort sentiment de peur et des conflits violents. À cause des actes terroristes comme ceux que la France a connus, mais aussi parce que nos contemporains évoluent dans un monde du travail en perpétuelle tension. Si bien que de nombreux citoyens rejoignent les croyants pour se demander comment oeuvrer à la paix.
Que propose le zen pour dépasser ses appréhensions ?
Il est certes difficile d'apporter une réponse simple, car ces actes de violence traduisent aussi de fortes frustrations. Mais un travail dans la durée est de toute façon nécessaire. Et pour cela, le zen préconise de prendre des temps de méditation réguliers, en trouvant une posture physique juste. Le dos doit rester droit, la colonne vertébrale étirée, comme si un fil partait du sommet du crâne pour atteindre le ciel. Et en même temps, le zen incite à nous ancrer dans le sol, en ayant la sensation d'être enracinés dans la terre. L'ensemble crée un état de stabilité, mais sans tension. Cette attitude n'est pas si simple à adopter à notre époque où les personnes sont souvent dans une agitation permanente. Mais ce n'est qu'à partir de cette position que nous pouvons identifier ce que représente la peur pour chacun de nous et élaborer une réponse pacifique pour y faire face.
Pourquoi insister sur la posture ?
Car elle seule permet de trouver une respiration suscitant un état de calme intérieur où le physique et le mental sont en harmonie. Dans cette perspective, le zen propose de se concentrer sur l'expiration. Nous pratiquons ainsi une forme particulière de respiration (dite inversée) qui purifie le coeur de ce qui nous encombre. Il est conseillé d'expirer profondément et longuement, en ayant la sensation que l'on chasse à l'extérieur ce qui peut être de l'ordre des choses négatives. Quand nous expirons l'air, nous sommes invités en même temps à pousser sur le bas-ventre, entre le nombril et le pubis. L'inspiration survient ensuite comme par réflexe, une simple conséquence de l'expiration. Au début, cette façon de procéder surprend les Occidentaux qui ont plutôt l'habitude de gonfler la poitrine lorsqu'ils inspirent, puis de rentrer le ventre quand ils chassent l'air !
Pourquoi expulser l'air par le nez plutôt que par la bouche ?
Les Occidentaux utilisent souvent la bouche pour respirer dans le cadre d'une respiration centrée sur la cage thoracique. La respiration inversée, en poussant sur le bas-ventre durant l'expiration, s'avère plus simple si l'on ferme la bouche. L'air remonte ainsi le long de la colonne vers les narines. Le menton est légèrement rentré pour faciliter le passage de l'expiration le long du cou. Nous gagnons en stabilité. Ce travail favorise une prise de conscience de nos craintes qui permet de les affronter de la façon la plus paisible possible. À chacun de l'expérimenter, mais cela se ressent physiquement.
En quoi ces temps de méditation ont-ils un lien avec la vie quotidienne ?
Mais ce lien est direct ! Ce qu'on aura découvert dans la posture de l'assise pourra être ensuite transposé dans tous les actes de notre existence pour maintenir ce coeur que rien ne trouble malgré les catastrophes environnantes. Contrairement à une certaine interprétation venue des États-Unis, le zen n'a pas pour but de se débarrasser des émotions. Nous pouvons les recevoir toutes, positives ou négatives. Il ne s'agit pas de les supprimer, mais de ne pas en devenir prisonnier. Progressivement, en pratiquant la méditation, nous arrivons à une forme de lucidité qui n'est pas intellectuelle, mais qui est la capacité de voir les choses dans leur réalité tout en gardant notre propre sérénité.
Plus qu'une technique de bien-être individuel, le zen peut donc nous aider à affronter nos peurs ?
En soi, ce bien-être n'est pas négatif. Les écoles classiques du zen aident leurs adeptes à se sentir bien, en trouvant une certaine quiétude pour ne pas être atteints par les agressions extérieures. Mais il y a un risque à le réduire à cette dimension. Au XVIIIe siècle, au Japon, le zen Rinzai a connu une période qui s'attachait beaucoup trop à la forme et au « salut personnel ». La pratique a été rénovée par un dénommé Hakuin, un type extraordinaire, qui a fait voler en éclats la vision traditionnelle et conformiste du zen, pour ne pas se soucier que de son bien-être personnel. Mais aussi intégrer cette façon de se tenir dans la vie lorsqu'on est confronté à des événements dramatiques, pour garder cette qualité de présence, à la fois concentrée sur la respiration et ouverte sur les autres.
Le parcours d'un maître
Hôzumi Gensho Rôshi est né en 1937 à Hitoyoshi,au Japon. Quand il perd son père à 7 ans,Hôzumi est confié à son oncle, prêtre du petit templeToko-ji à Kameoka. Il poursuit ses études sans vouloirdevenir moine, mais au cours d'un voyage, il se convertit au zen. Il rejoint alors le monastère Shôfukujipour plus de 12 années de pratique intensive du zenauprès du maître Yamada Mumon. Diplômé en études bouddhistes de l'université Hanazono en 1959, ilincarne le 84e patriarche dans la lignée du zen Rinzai,depuis Bouddha Shakyamuni, l'une des deux grandes écoles zen (la seconde étant le Soto).
Une retraite avec Hôzumi Rôshi
Chaque année, en février, le maître zen donne une retraite où il partage sa sagesse. Depuis cinq ans, elle se tient à l'abbaye trappiste de Cîteaux. La session est organisée par l'association Mugen dont la responsable est Anne-Marie Hebeisen. Les laïcs peuvent y participer. Renseignements : [email protected]
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