Magazine Sexo

La complainte du mal-aimé # Chronique 17

Publié le 01 juillet 2008 par Katrin

« Vivons, ma Lesbie, aimons nous… ».

Nous pouvons tous nous reconnaître, amoureux transis, dans les aléas de la passion que Catulle décrit dans ses « Poèmes à Lesbie » : le choc du premier amour, la folie des baisers, les impatiences, les jalousies terribles, les ruptures et réconciliations.

Nous pouvons remercier Catulle lorsque nous écrivons une lettre d’amour car il fut brillamment l’un des premiers interprète du lyrisme amoureux, quelques cinquante ans avant J.C. En se faisant le chantre de l’amour malheureux, il devient le précurseur de l’élégie latine. « En proie à mille fièvres », le poète exprime une plainte douloureuse aussi mélancolique que romantique. En prenant comme matière première de sa poésie sa vie, ses sentiments et ses tourments, il est l’un des premiers à mettre à nu son intimité, et à donner une dimension psychologique à l’amour.

Catulle Honorons aussi Lesbie, cette « lionne aux gorges de Lybie », célèbre par sa beauté et ses mœurs libertines, mariée mais infidèle, cette « catin sans foi » qui fit de lui un jouet et ravit tous ses sens, durant environ quatre ans. Sans elle, les femmes seraient restées éternelles mineures et sans âme. Car paradoxalement, malgré tous les maux que Lesbie lui fait subir, en écrivant son amour pour elle, Catulle est l’un des premiers poètes latins à accorder une âme à cet étrange objet du désir qu’on appelle une femme, en invoquant à travers elle l’amour éternel.

Pour la première fois dans l’Histoire, l’homme romain n’est plus un  « paterfamilias », ce chef de famille qui commande à sa femme. La passion pour une femme n’est plus dégradante, ridicule, indigne d'un homme libre et d'un citoyen romain. Il se laisse dominer par ses sentiments ; la femme devient une muse charnelle et sa jalousie terrible explose contre ces « galants de rue », ces « amants indignes », « ces gueux dans tes bras ». Bien malgré lui, il devient l’esclave amoureux, « servus » d’une femme, « domina ».

Mais si Catulle se complait dans le rôle du mal aimé, il n’en est pas moins un oisif cultivé, amateur de beaux éphèbes et « chastes adolescents », tel Juventius aux « doux yeux de miel », et de courtisanes comme Ipsitilla à qui il promet « neuf assauts de suite et pour un long plaisir ». Il aime avec ses mots « faire tâter de sa virilité ». Il saupoudre sa poésie de plaisanteries et d’allusions salaces à la gloire de « l’ obscène Priape ». Il clame tout haut que les vers n’ont pas besoin de décences : « il leur faut pour avoir du charme et du piquant, la langueur, l’abandon , le pouvoir provocant  d’exciter le prurit des passions ardentes ».

Dans ses « Poèmes à Lesbie et autres poèmes d’amour », on découvre un poète latin aux talents poétiques extrêmement variés. Romantique avant l’heure – tel un Musset ou un Chenier, tragique - comme un Racine,  érotique - précurseur de Martial et Ovide et dont le poème célèbre des « cents baisers, et puis mille, et puis cent » inspirera sans nul doute Ronsard et Louise Labbe. En étant le sujet de son œuvre, Catulle est novateur pour son temps. En faisant du poème l’un des tout premier discours amoureux, il trace en poésie le chemin d’un éducation sentimentale sur lequel nous pouvons tous nous retrouver. Car même s’il déclare à Lesbie que « Dans le mal tout entier, il me faudra t’aimer », et qu’il lui sera donc difficile de triompher de sa passion, nous ne pouvons qu’aimer l’œuvre de ce jeune Catulle (tout juste âgé de vingt ans) devenu homme accomplit grâce à la poésie et à  l’amour.

Catulle, « Poèmes à Lesbie et autres poèmes d’amour ». Mille et une nuits, Octobre 2007

Cet article est paru en kiosque, dans le Magazine des Livres de Janvier 2008, par Katrin Alexandre - 2008 Copyright


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Katrin 65 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines