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L’interview cache cache avec la street artist parisienne Achbé

Publié le 27 novembre 2017 par Larrogante

On sait peu de choses sur cette artiste, Achbé. Elle vit à Montmartre, elle est maman et porte les cheveux courts. Mais ce qu’elle fait, dans son quartier, c’est du street art, une expression libre, à coup de craie et en s’agenouillant, pour dire aux passants sa poésie. Une réaction à l’actualité, une pensée, un coucou à un ami ou une amie, bref, cette Achbé est pleine d’humanisme et d’originalité. On lui a posé 5 questions et à la fin de cette interview, il ne vous reste plus qu’à partir en quête de ses écrits, dans le 18ème… Ou la suivre sur Facebook !

L’interview cache cache avec la street artist parisienne Achbé

L’Arrogante : Qui se cache derrière Ma rue ? 

Ma rue par Achbé : Ce qui se cache derrière Ma rue par Achbé, c’est ma face lumineuse. Mon autre moi est plutôt mélancolique. Mais ces deux polarités sont les deux faces d’une même pièce. Nous sommes toutes et tous un peu comme ça, non ? Un peu Yin et un peu Yang ? Cela n’a rien d’exceptionnel. Ma rue par Achbé, c’est le Yang… avec un peu de Yin dedans quand je suis en colère, comme sur certains sujets d’actualité qui nous rafraîchissent la mémoire parfois violemment sur les défauts séculaires de l’Humanité… Ma rue par Achbé, c’est d’ailleurs plutôt un concept qu’un nom. Ma rue, c’est mon trottoir, mes voisins, mon quartier sur le bitume. Et c’est mon pays et le monde entier à travers les réseaux sociaux, une fois que la photo a fixé l’éphémère. Ma rue, c’est mon tableau noir, mon journal intime, mon journal tout court… mon palimpseste (j’aime bien cette idée de recouvrir toujours le même support avec un contenu, un message différent et de devoir toujours recommencer).

Ma rue, c’est mon trottoir, mes voisins, mon quartier sur le bitume. Et c’est mon pays et le monde entier à travers les réseaux sociaux, une fois que la photo a fixé l’éphémère. Achbé 

C’est aussi un retour à l’enfance avec la craie, l’ardoise d’asphalte, mon écriture cursive de fillette, et ma posture « primitive ». Je suis à genoux pour écrire, comme avant mes premiers pas, comme avant les premiers pas de l’Homme. Mais ma Ma rue par Achbé, c’est à l’origine une déclaration d’amour à tous mes amis, mes proches et voisins qui vivent dans mon quartier ou ailleurs et qui font ma force !

L’interview cache cache avec la street artist parisienne Achbé

Pourquoi écrire dans la rue ? Comment est venue cette idée ?

Ma rue par Achbé : Là, on touche le fond… de l’histoire ! En fait, ce n’est pas une idée, ou du moins elle n’est pas préméditée. Ça a commencé en avril dernier, je suis devant chez moi. Des touristes et voisins passent, essoufflés par la montée, ça me fait rire. Alors je prends une des craies échappées de l’enfance de ma fille et de mon fils, et j’écris sur mon trottoir pentu de Montmartre en très gros, « Ça monte, hein ? ». Et là, tout le monde se marre et me dit : « C’est trop bien, continue… ». J’enchaîne avec « Ce n’est pas une rue, c’est une famille », pour rendre hommage à mes voisins que j’adore car mon quartier est vraiment à part. D’abord, je n’ai pas fait le lien. Puis cela m’est revenu comme un boomerang, je m’exprime sur le trottoir même où l‘homme avec qui je partageais ma vie, le père de mes enfants est tombé il y a quelques mois et d’où il ne s’est jamais relevé. Mes messages sont lisibles du ciel. C’est fou… Je lui écris à lui en écrivant à tous. Je ne suis pas trop mystique mais cela m’a fait un bien fou. J’aime bien dire que j’écris à genoux pour ne pas être à terre.

Je crois que c’est ce que Boris Cyrulnik appelle un acte de résilience, la résilience, c’est ce qui permet de faire face à un drame. Je crois aussi que ce mécanisme peut entraîner la créativité. Nous y voilà, mes performances éphémères au sol m’aident à rester debout. Très vite je me suis inventé un nom, Ma rue par Achbé, d’après ses initiales, Hervé Baudry. Ca a été très spontané aussi. C’est une façon de l’avoir à mes côtés à chaque fois que j’écris. Une signature qui m’autorise à ne plus être obsédée par lui et son absence… la présence de l’absence, une sensation vertigineuse. Mais attention, pas de pathos, je l’interdis ! La vie est belle… même si elle peut être cruelle.

J’aime bien dire que j’écris à genoux pour ne pas être à terre. Achbé

Alors pourquoi j’écris ? C’est pour vider mon sac en poussières de craie, pour partager 50 années de réflexion, de jeux avec les mots, d’échanges avec moi-même ! J’aime les écrits courts, drôles, cinglants, émouvants, poétiques. J’aime faire ça alors je le fais, c’est aussi simple que ça !

L’interview cache cache avec la street artist parisienne AchbéAchbé par Brigitte Batcave

Quels sont les retours des passants, réels ou virtuels ?

Ma rue par Achbé : Il y a 5 minutes (pause cigarette), une femme m’a demandé si c’est moi qui écrivais sur le trottoir. Je lui ai répondu, « Oui », elle m’a dit : « Merci ! » et elle est partie. Ça aussi, c’est aussi simple que ça. Parfois, je discute longtemps, je débats, je ris, je n’ai jamais eu d’échanges vifs, c’est toujours respectueux, même en cas de désaccord. Ça fait un peu bisounours mais c’est la réalité. J’ai fait connaissance de plein de monde (en écrivant ailleurs aussi, car j’écris là où je vais). Je suis même tombée sur un couple prenant en photo mon trottoir vierge un jour où la pluie avait tout effacé, on a parlé pendant plus d’une heure et ils m’ont pris en photo pour immortaliser le moment. Ce que j’aime dans mon travail, c’est rencontrer les gens, même si parfois, ça m’intimide ! Sur Instagram et Facebook, la relation est la même. Très peu d’agressivité, beaucoup d’échanges. J’espère être un contre-exemple de plein de pages où chacun vient déverser sa haine. D’ailleurs, je n’hésite pas à bannir les propos insultants et ceux qui les profèrent (2 ou 3 personnes seulement pour l’instant). Ma page, c’est une bulle et j’en suis la gardienne, qu’on se le dise !

En quoi est-ce important aujourd’hui de s’approprier l’espace ?

Ma rue par Achbé : Pour moi ? Je crois que vous l’aurez compris (rires). Je communique en direct et j’aime ça. D’une manière générale, c’est un besoin humain de s’approprier l’espace. La grotte de Lascaux, l’art pariétal, c’est bien ça aussi, non ?

J’espère être un contre-exemple de plein de pages où chacun vient déverser sa haine. Achbé

Aller dehors pour créer, se promener pour découvrir du street art, c’est facile, c’est gratuit, ça nous tombe dessus sans qu’on s’y attende, ça procure des émotions, ça fait réfléchir, c’est bon, souvent beau, ça rend la rue vivante, ça rend la ville vivante ! D’ailleurs, je me demande si le terme « S’approprier » est exact ou alors, c’est se l’approprier pour mieux la rendre aux autres une fois le travail fini. La rue est à tous, c’est là que j’écris. C’est là que les gens manifestent. C’est un porte-voix magnifique. Cela rend visible ce qu’on a envie de dire, elle nous donne du pouvoir, celui de nous exprimer… Au moins autant que dans un isoloir. Et puis, quand un message est lâché dans la rue, chacun se l’approprie, il a sa propre vie, peu importe la signature, cela a été le cas avec mon hommage à Simone Veil, ça a été très fort, cela m’a beaucoup émue. Ça a créé une vraie communion entre les gens, une muse d’exception en plus d’être une femme exceptionnelle.

L’interview cache cache avec la street artist parisienne Achbé

Que dire à ceux qui observent ce street art ? Prendre une photo ? Venir discuter ?

Ma rue par Achbé : Mon trottoir est ouvert à quiconque veut le fouler, l’accès est libre ! Alors Welcome ! Mais il faudra trouver l’adresse. Un peu d’effort tout de même ! Mes pages Facebook et Instagram, c’est une façon de partager avec ceux qui ne vivent pas ici et donc d’échanger, je reçois pas mal de messages personnels. Je réponds toujours.

Le blog s’appelle l’Arrogante, qu’est-ce qui est arrogant dans cette démarche artistique ?

Ma rue par Achbé : Je préfère le mot « impertinente » au mot « arrogante » (vous n’allez pas me censurer j’espère ? Rires). À l’école, on me reprochait d’être impertinente. Je suis contente que ça soit devenu une qualité avec l’âge… C’est un trait de caractère à entretenir ! Je pense que mon impertinence, c’est d’oser écrire à 4 pattes au sol avec un medium aussi primaire que la craie, c’est de m’exposer à l’inconnu, c’est aussi souvent, j’espère, le ton de mes messages. Mais finalement, je vous retournerais bien la question… Pourquoi vous appelez-vous L’Arrogante ? Et qu’est-ce que vous trouvez arrogant dans ma démarche artistique ? Allez au travail… je n’ai pas arrêté de parler ! (éclats de rire).

Merci à Achbé pour sa généreuse interview. Nous trouvons dans Paris une forme d’Arrogance, et dans ce blog, un média pour donner toutes nos meilleures adresses pour manger, pour lire, pour observer, pour acheter, pour se cultiver… Alors n’y a-t-il pas une forme d’arrogance à tout cela ? Votre arrogance et votre impertinence peut-être sont-elles celle d’une artiste en quête de communication, de discussion et de confrontation avec vos voisins. C’est une belle démarche, dans une société souvent individualiste, bravo ! Maintenant, on file vous chercher dans Paris… 



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