J'ai souvent parlé de déflation sur ce blog ces dernières années, mais il m'a semblé utile de revenir aujourd'hui sur le phénomène opposé : l'inflation. En effet, si la plupart des gens comprennent que la Banque centrale européenne (BCE) a pour mission principale la stabilité des prix, ils se demandent souvent pourquoi l'objectif d'inflation est de 2 % et non 0 % comme on pourrait s'y attendre. C'est tout l'objet de ce billet !
L'article 127, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne définit l'objectif principal de l'Eurosystème :
" L'objectif principal du Système européen de banques centrales [...] est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l'objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l'Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l'Union, tels que définis à l'article 3 du traité sur l'Union européenne. Le SEBC agit conformément au principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre, en favorisant une allocation efficace des ressources et en respectant les principes fixés à l'article 119 ".
Autrement dit, la BCE part du postulat que l'économie de marché où règne une concurrence libre est un modèle d'efficacité et prospérité vers lequel il faut tendre, et que l'un des moyens d'y arriver et de lutter contre l'inflation (hausse généralisée des prix) et la déflation (baisse généralisée des prix). Plus précisément, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne vise à maintenir l'inflation à des taux inférieurs à, mais proches de 2 % à moyen terme.
Le graphique ci-dessous montre que le taux d'inflation au sein de la zone euro a reculé entre 2011 et 2015, au point de laisser entrevoir le risque d'une déflation. Mais depuis 2016, il repart de nouveau à la hausse (certes assez faiblement et manque par conséquent l'objectif des 2 %), en raison d'une petite embellie économique, d'un faible relâchement de l'austérité dans plusieurs pays et d'une politique monétaire ultra-accommodante (taux d'intérêt très bas, quantitative easing).
[ Source : Eurostat ]
En regardant en coupe, pays par pays, il apparaît que la zone euro est constituée de d'économies hétérogènes, ce qui complique sérieusement la mise en œuvre d'une politique monétaire unique pour ces 19 pays :
[ Source : Eurostat ]
En France aussi le taux d'inflation reste bien en deçà de la barre des 2 % et ne progresse guère qu'au rythme des accélérations des prix de l'énergie et des services :
[ Source : INSEE ]
Pourquoi la BCE vise-t-elle un taux d'inflation de 2 % ?La BCE surveille bien entendu le taux d'inflation totale, mais également le taux d'inflation sous-jacente, qui exclut les prix des produits les plus volatils comme l'énergie et dépend des hausses de salaires. Or, pour l'instant l'évolution de ces derniers est bien trop sage au sein de la zone euro :
[ Source : Natixis ]
D'où une inflation sous-jacente inférieure à 1,5 % en taux :
[ Source : Natixis ]
C'est pourquoi Mario Draghi se refuse pour l'instant à resserrer trop fortement la politique monétaire. Mais pourquoi viser à moyen terme un taux d'inflation totale proche de 2 % et pas 0 % ? Tout d'abord, un taux d'inflation trop faible peut très vite déboucher sur un risque de déflation, c'est-à-dire de baisse généralisée et auto-entretenue des prix. Et face à cette spirale déflationniste, les Banques centrales ne peuvent plus user du taux d'intérêt, d'autant qu'ils sont souvent déjà très bas, et l'économie peut alors très vite entrer en dépression. Viser 2 % d'inflation représente en quelque sorte un matelas que s'accorde la BCE pour éviter la déflation, phénomène contre lequel elle est bien démunie lorsqu'il se matérialise.
De plus, avec un peu d'inflation, les taux d'intérêt seront plus élevés, ce qui offre la possibilité de les baisser en cas de crise. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Banque centrale américaine (Fed) se dépêche de remonter ses taux d'intérêt directeurs à défaut d'attendre que l'inflation le fasse, afin de faire quelques réserves de cartouches pour la prochaine crise, car il est à peu près acquis que les États-Unis sont très proches du haut de leur cycle et qu'un ralentissement est à envisager sérieusement...
En outre, si l'on part de l'hypothèse très souvent vérifiée que les salaires nominaux (et la plupart des prix nominaux du reste) sont difficiles à faire baisser, alors un faible taux d'inflation globale ne permet pas de faire baisser les salaires et les prix réels, ce qui complique grandement les ajustements sur les marchés.
Enfin, si l'on revient un instant à l'inflation sous-jacente, une faible évolution de celle-ci peut conduire au recul des prix industriels, car ils augmentent en général moins vite que ceux des services. Ce serait évidemment une très mauvaise nouvelle si l'industrie voyait ses prix reculer au moment où tout le monde s'active pour en sauver quelques restes, puisque cela signifierait une baisse du chiffre d'affaires et partant des difficultés en matière d'investissement et d'emplois.
En définitive, contrairement à l'intuition qui voudrait que l'objectif de stabilité des prix se traduise par un taux d'inflation nul, la Banque centrale vise plutôt un taux inférieur mais proche de 2 % à moyen terme, afin d'éviter le risque de déflation contre lequel elle est bien démunie. Hélas, la politique non conventionnelle mise en place par la BCE pour y parvenir contient également en germe la prochaine crise...